La chorégraphie inspirée du Tristan und Isolde de Wagner se vit comme une traversée onirique du temps et du conte magnifiquement incarnée par la vingtaine de danseurs et solistes du Ballet du Grand Théâtre, qui la donnent en création, et totalement libérée du poids de la tradition et du récit.
La «mélodie ininterrompue» wagnérienne impose sa densité, ses paroxysmes: Joëlle Bouvier lui laisse sa liberté mais revendique pleinement la sienne.
La chorégraphe franco-suisse est une magicienne du mouvement des corps qui passent du ralenti – gestes maîtrisant la lenteur, le déploiement fluide – à des élans soudains et fulgurants. Les danseurs sont tour à tour comédiens en marche, corps légers en apesanteur – bouleversant pas de deux entre solistes encordés –, ils se transforment en vagues d’océan, en bateau, en récifs, en guerriers. La mise à mort de Tristan est un moment d’une efficacité dramatique exceptionnelle.
Telle une cinéaste tournant en temps réel, Joëlle Bouvier parvient à révéler les êtres un à un puis à les rassembler en tableaux toujours inattendus, comme autant de condensés d’humanité, d’échanges, d’appuis. Les danseurs ne sont jamais seuls, toujours en interaction avec les autres, en portés, en soutien, en tombés, en élans fluides.
Le recours à des éléments de décor trouve à chaque fois sa raison d’être – ainsi les planches d’une palissade se muent en chemin mouvant sur lequel avance, légère, Isolde. «Salue pour moi le monde!» chante la jeune femme au seuil de sa mort programmée. Les danseurs, solistes ou non, se saluent et, mieux encore, se sauvent les uns les autres.
Au-delà de la beauté retenue et précise de la chorégraphie, de l’intelligence de la scénographie, des jeux de lumière, de l’ingéniosité des décors, ce ballet respire la vie, les passions traversantes et une grâce douloureuse et douce. Magnifique salut au monde et aux danseurs signé Joëlle Bouvier.
