Zoom. Un piano Pleyel, récemment restauré aux Pays-Bas, est l’un des instruments utilisés à Paris par Chopin. Une découverte rare due à un professeur de physique sédunois.
Chopin n’a pas de secret pour Alain Kohler. Ce professeur de physique, «chopinophile», dit-il, depuis son plus jeune âge, connaît tout du musicien polonais, de sa vie, son œuvre, ses amours, ses voyages et jusqu’aux nombreux pianos qui, tour à tour, ont donné corps à son inspiration.
Et voilà le physicien valaisan perplexe devant le numéro de série d’un piano Pleyel mis en vente aux Pays-Bas par les ateliers de restauration Edwin Beunk. Le numéro 11 265 lui rappelle celui de l’un des pianos livrés au domicile parisien de Chopin entre 1839 et 1847.
Alain Kohler est en effet un familier des documents et archives, notamment de celles des ateliers Pleyel où sont consignés tous les renseignements relatifs à la construction, aux réparations, aux locations, prêts et ventes des instruments de la célèbre dynastie.
Après vérifications et recoupements d’informations venant de sources diverses, il apparaît effectivement que le piano à queue 11 265 a bien été mis à la disposition de Chopin entre décembre 1844 et juin 1845.
«Edwin Beunk a été d’autant plus heureux de cette nouvelle qu’il avait restauré l’instrument avec minutie et, surtout, en préservant au maximum les éléments d’origine, raconte Alain Kohler. Il a par exemple gardé les marteaux, même s’ils étaient mités, en raison de la qualité du son qu’ils garantissent.»
Vendu il y a quatre ans 60 000 euros à un Allemand soucieux de conserver l’anonymat, le Pleyel 11 265 se retrouve désormais doté d’une valeur ajoutée difficile à chiffrer, vu qu’il n’est pas question de le revendre dans l’immédiat, mais estimée au moins au double de ce prix.
Pour le seul motif d’avoir été joué par Chopin? «Contrairement à un violon dont les qualités se bonifient avec les années, un piano se détériore et court de gros risques à chaque restauration, relève Alain Kohler.
Sur les nombreux instruments de Chopin, seuls cinq ont été retrouvés et placés tels quels dans des musées où ils ne sont jamais joués. L’intérêt de ce piano est que, parfaitement restauré, il est jouable et témoigne véritablement des sonorités dont Chopin disposait quand il composait, enseignait et donnait ses concerts privés.»
Argument marketing
Et ce piano se devait d’être de qualité puisque Chopin, virtuose adulé, était le plus précieux argument marketing de Pleyel qui le fournissait régulièrement en instruments, que ce soit dans la résidence de Nohant où il vivait avec George Sand, ou à son domicile parisien. Un piano ayant séjourné chez Chopin (jamais plus de quelques mois) se vendait sans problème.
Et, alors que Liszt faisait la promotion des pianos Erard, Chopin roulait pour Pleyel, «un piano qu’il considérait plus perfide, car il demandait à être domestiqué», selon Alain Kohler. C’est en cela que la fiche d’identité reconstituée de cet instrument de 1844 est d’importance: «De plus en plus d’artistes jouent sur des instruments anciens pour retrouver les caractéristiques sonores des œuvres qu’ils interprètent.
Les sons Pleyel sont magnifiques et les nuances douces, comme voilées, rendent compte de la nature coloriste de Chopin, une dimension que l’on ne peut pas retrouver sur un piano moderne.» Avant d’être acquis par le propriétaire anonyme, le 11 265 a été joué notamment par le pianiste allemand Tobias Koch qui confirme l’intérêt musical à disposer d’un piano historique aussi typé.
Heureux d’avoir ressuscité un pan des couleurs musicales originelles de Chopin, Alain Kohler se prépare à son prochain – et pacifique – combat: «Convaincre l’actuel propriétaire de mettre l’instrument à disposition lors d’événements musicaux significatifs.»
Permettre aux amoureux de Chopin, et ils sont nombreux, de goûter à la saveur de sa musique «comme on goûte à la saveur de fruits authentiques et mûrs».