Walenhammes est une ville fictive du nord de la France ou de Belgique, Charleroi ou Valenciennes. L’écrivain Alexis Jenni y a posé ses valises pour un gros roman ambitionnant de raconter la décadence et la déliquescence économiques de ces anciens fiefs de l’industrie européenne devenus zones sinistrées depuis l’extinction des hauts-fourneaux.
Son porte-parole est Charles Avril, journaliste venu pondre de la copie, attiré par les événements étranges arrivés à Walenhammes – une piscine qui prend feu, une bibliothèque dévastée, des hommes en noir qui sèment la panique en ville.
Charles croise le chemin de Marie, maître nageur, de la jeune Nilüfer qui pense qu’elle comprendra le monde si elle lit tout Dostoïevski, du maire persuadé que la pauvreté enrichit et qui va en faire un argument marketing imparable.
Charles navigue d’une usine à viande à la procession carnavalesque des Géants, d’un bar à putes au bureau du maire, raconte, s’attache, ne repart plus. Jenni nous plonge dans un bouillonnement de courants sociaux, politiques, familiaux, sécuritaires, propose un récit-monde qui mêle immigrés, bourgeois, ouvriers, terroristes, amoureux et clandestins dans un même tourbillon désarçonnant et intense.
Le Prix Goncourt 2011 pour L’art français de la guerre inaugure ici un ton étonnant, à mi-chemin entre le reportage, la farce et le polar, au réalisme toujours à deux doigts de plonger dans le fantastique, tendre et cynique à la fois.
Un ton très belge, en somme. Une manière de faire du Zola en passant par le surréalisme poétique. Et une manière de prouver que le chaleureux Lyonnais, dont on referme à peine Son visage et le tien, hymne à la foi et au sens, prix Spiritualités d’aujourd’hui 2015, a plus d’un tour dans son sac à malice.