Critique.«Alyah», faux roman mais vrai cri du cœur, décrit avec tristesse et rage le climat antisémite qui règne en France. L’écrivaine se demande s’il n’est pas temps de faire son «alyah», comme tant d’autres Français.
L’héroïne d’«Alyah» se nomme Esther Vidal, elle est prof de français dans un collège de banlieue mais ne fait guère illusion: elle a un père né au Maroc d’une lignée de lettrés juifs espagnols comme Eliette Abécassis, deux enfants et un ex-mari épousé trop vite comme l’écrivaine parisienne, et les temps troublés qu’Esther vit à Paris sont ceux de l’auteure à succès de Qumran, La répudiée ou Sépharade. Qui n’a d’ailleurs même pas pris la peine d’indiquer «roman» sur la couverture d’Alyah.
Faux roman mais vrai cri du cœur, Alyah est un livre écrit sur le vif, dans un bouillonnement d’émotions contradictoires. Un livre qui, du coup, mélange les genres avec une certaine maladresse mais un pouvoir de conviction et un sens de l’à-propos absolument certains.
Cri de colère, il dénonce l’absence, au lendemain des crimes contre Charlie Hebdo ou des tueries de Toulouse contre des écoles juives en 2012, de dénonciations publiques et de défilés au nom des victimes juives. «Moi aussi j’étais là le 11 janvier: on n’avait jamais vu une telle marée humaine dans Paris.
(…) Mais je n’ai pas vu beaucoup de «Je suis juif» ce jour-là. Tout le monde était Charlie. Mais qui était Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada? (…) Est-ce que tous ces gens seraient descendus dans la rue si on n’avait tué que des juifs?»
Constat rageant, désolant, Alyah découvre que si «Barbie, Bousquet, Papon sont morts», que si une page sombre de l’histoire française a été tournée, les «Morts aux juifs» que l’on retrouve inscrits sur certaines maisons de nouveau ouvrent cette page.
Pensée juive
Remise en question lucide, Alyah se demande pourquoi les juifs de France se retrouvent avec des militaires qui gardent leurs écoles et leurs synagogues. «Il y a quelques années, on pouvait encore en rire.
Du Livre, du pape, de Jésus, de Moïse, et même de Dieu. (…) Il y a quelques années, on pouvait faire ses courses sans risquer sa vie. (…) Qu’avons-nous fait, ou pas fait, pour nous sentir à nouveau menacés?»
Eliette Abécassis nous plonge du coup dans l’histoire de la pensée juive française à la Levinas, marquée par des figures comme celles de Jacob Kaplan, grand rabbin de France de 1955 à 1980, nous livre des bribes de conférences des philosophes Dan Arbib, Bernard-Henri Lévy ou Robert Badinter.
Alyah pose enfin la question que se posent tant de juifs de France désormais: partir, ou rester? En 2014, plus de 7000 juifs de France ont émigré en Israël. La France est devenue le premier pays d’émigration vers Israël. En 2015, entre 8500 et 10 000 départs sont attendus.
«Depuis Abraham, nous sommes des déracinés. C’est ainsi que le judaïsme est né, par cette injonction: quitte ton pays. Nous avons inscrit en nous la culture du nomadisme, de l’errance.» Partir, ou se battre? «Nous sommes nés après 68. Nous n’avons pas fait la guerre.
Nous n’avons pas de culture politique, et toute forme d’engagement nous paraît dérisoire. Nous ne sommes pas préparés à ce qui nous arrive. Nous avons appris dans les livres ce qu’était la barbarie, mais nous ne l’avons jamais vue en face.»
La réponse – provisoire –, la narratrice – vraie Parisienne, née à Strasbourg de parents sépharades qui pleurent en évoquant leur Maroc natal – la trouve dans une quête des origines qui la mène à Carpentras, dans l’appartement sombre d’un généalogiste installé à côté de la plus ancienne synagogue de France.
Elle y apprend que ses liens avec la France sont plus anciens que tout ce qu’elle imaginait. Que sa lignée est posée sur sol franc depuis deux millénaires. Partir, rester? Rester, encore un peu.