«La Sapienza». Cinéaste et écrivain, Eugène Green invite à un envoûtant voyage sur les traces de Francesco Borromini.
Attention, ceci n’est pas un film. Ou plutôt il ne correspond pas tout à fait à la conception qu’a le grand public de ce qu’on nomme communément un film. Même s’il y a bien dans La Sapienza une histoire, elle est en effet racontée selon des schémas que récuse le cinéma classique.
Acteurs qui se parlent en regardant la caméra, dialogues très écrits, diction ampoulée, jeu statique: le cinéaste, écrivain et homme de théâtre Eugène Green, qui signe à 67 ans son cinquième long métrage, possède sa propre conception du septième art. Mieux vaut y adhérer pour goûter pleinement à La Sapienza.
Présenté l’été dernier en compétition à Locarno, le film nous dévoile d’abord un couple fatigué. Alexandre est un architecte suisse qui «a fait surgir des villes au milieu des champs», dit celui qui lui remet un prix prestigieux, tandis qu’Aliénor est une psychologue préoccupée par le sort des laissés-pour-compte.
Laïc convaincu ayant toujours refusé de construire des lieux de culte, mais qui a parfois conçu des usines, qu’il considère comme «les cathédrales modernes», Alexandre se cherche, tout en restant convaincu que l’architecture est faite pour assurer le bonheur des hommes.
Lorsqu’un promoteur l’oblige à revoir un projet et à raser un bourg ancien qu’il avait intégré à sa réflexion, c’en est trop. Il décide de larguer les amarres et d’enfin prendre le temps de rédiger ce travail sur Francesco Borromini auquel il a si souvent pensé.
Besoin de lumière
Accompagné de sa femme, le voilà qui part en direction de Rome sur les traces de l’architecte né en 1599 à Bissone, au Tessin. A Stresa, le couple rencontre Lavinia et Goffredo. Ils sont frère et sœur, lui s’apprête à commencer des études d’architecture tandis qu’elle souffre de mélancolie, telle une héroïne romantique surgie d’un roman du XIXe siècle.
S’ouvre alors un double récit initiatique: tandis qu’Alexandre va accepter d’emmener Goffredo, Aliénor va veiller sur Lavinia. L’expérience sera formatrice pour les quatre personnages, on le devine d’emblée.
Mais, plus que ce qui est raconté, ce sont les édifices construits par Borromini, que Green filme à l’aide de lents travellings et panoramiques, qui fascinent. Bercés par la musique sacrée de Monteverdi, on plonge, envoûtés, dans le destin de l’architecte baroque qui a sculpté des ornements pour la basilique Saint-Pierre avant de dessiner Sant’Ivo alla Sapienza, sublime église qui vient alors nous rappeler la petitesse de l’homme face à la monumentalité de ce qu’il a construit.
Peu après, Green surgit, tel un devin illuminé, dans la peau d’un Chaldéen obligé de se résoudre à la disparition programmée de sa langue et de sa culture. A l’heure où des hauts lieux de la mémoire humaine sont la cible de fous de guerre et de Dieu, La Sapienza parle de l’art comme d’une lumière guidant les hommes. Et on a plus que jamais besoin de lumière