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Stromae met l’Amérique à genoux

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Jeudi, 30 Avril, 2015 - 06:00

Sophie Rader Los Angeles

Epopée.Le maestro belge vient d’achever une deuxième tournée dans l’Ouest états-unien, avant son retour attendu sur la côte est en septembre. Plongée au cœur d’une ascension fulgurante.

En juin dernier, Stromae explose l’écran sur le plateau du Late Night de NBC. Il vient d’entamer une campagne de séduction auprès de la presse américaine, suivie d’une série de concerts en automne. Les Etats-Unis découvrent alors, pour la première fois, celui que l’animateur de cette émission, Seth Meyers, présente comme «le phénomène mondial du hip-hop et de la dance music, tout droit venu de Belgique».

La porte de l’Amérique s’est ouverte, un peu plus tôt, grâce à Christian Bernhardt, vice-président de The Agency Group. Il entend Stromae pour la première fois grâce à un ami. Le businessman dévore l’album et accroche immédiatement. «J’ai écouté tout ce que je trouvais en ligne, j’ai aussi regardé les vidéos, qui m’ont littéralement épaté. J’ai alors directement pris contact avec Clémentine Bunel, sa productrice, en France.» Le sourire aux lèvres, il ajoute: «Quinze jours plus tard, j’étais à Paris pour proposer une collaboration.» L’homme, qui gère une des agences de talents les plus renommées, a du flair. Il décide d’organiser la tournée nord-américaine de la star belge, encore complètement méconnue aux States, à ce moment-là.

D’est en ouest, du nord au sud, de Boston à San Francisco, en passant par Chicago, Stromae aligne ses premières dates, une douzaine, devant un public majoritairement francophone. Les expatriés se déplacent en nombre et soutiennent, avec ferveur, la révélation bruxelloise. Même s’il est alors pratiquement inconnu outre-Atlantique, n’oublions pas qu’il y débarque fort de ses trois millions d’albums Racine carrée de vendus. Quelques fans américains de la première heure sont au rendez-vous et ne le lâcheront plus. Le buzz sur le Net et la couverture médiatique feront le reste.

Des fans inconditionnels

Cathy, 47 ans, de Buffalo, suit depuis le début toutes les dates de la tournée. A Los Angeles, il y a deux semaines, elle entrait dans le Club Nokia pour son vingt-quatrième concert. Le chanteur l’a inspirée dans la réalisation d’un rêve: voyager. Stromae a également été un catalyseur pour Nyasa, jeune Japonaise de 23 ans installée dans la Cité des anges. Tel un mentor, il lui a permis de révéler son don de dessinatrice. «Avant, je griffonnais pour tuer le temps; aujourd’hui, je sors mes crayons et aquarelles avec une joie immense.» L’artiste montre timidement ses carnets de croquis: des dessins impressionnants représentant Paul Van Haver, le vrai nom de Stromae, dans plus de cinq cents univers différents, dont celui de Magritte, par exemple.

Cathy, Nyasa et plus de mille autres passionnés suivent régulièrement le torrent de documentation proposé par Stromae USA fans, «l’unique page Facebook américaine de soutien», précise avec entrain Paule-Sylvie Yonké, sa fondatrice. Cette Américaine d’origine camerounaise passe des heures, depuis New York, à alimenter cette page destinée aux initiés. «Nous sommes un point de ralliement pour les Américains. Dans le cadre de son émission 50 minutes inside, TF1 m’a même contactée pour l’aiguiller dans la réalisation de son reportage.»

De l’autre côté du pays, dans le Colorado, Amy Van Vrancken rentre du concert d’Oakland. L’Américaine, rédactrice en chef du site stromaeometre.com, n’a pas hésité à parcourir 2000 kilomètres pour assister au concert de son idole. Depuis qu’elle l’a entendu en 2013 sur NRJ France, à l’âge de 45 ans, elle ne cesse de rendre son œuvre plus accessible aux anglophones.

Elle a publié, notamment, un guide de compréhension de l’album Racine carrée. «Lorsque j’ai compris la subtilité du jeu de mots de Formidable, j’ai eu besoin de comprendre tous les termes de ses chansons. J’ai alors commencé une véritable quête pour en apprendre plus. Pendant un an, je n’ai pu penser à autre chose!»

«Who the hell is Stromae?»

Christian Bernhardt a tout de suite capté le potentiel de l’artiste belge. «J’avais la vision du succès relatif qu’il vit aujourd’hui et souhaite, à l’avenir, le mener vers une exposition grand public mais je ne pensais pas que ça irait si vite.» Depuis le début de l’aventure américaine, The Agency Group et l’équipe de Stromae ont appliqué une stratégie de rayonnement organique, sans plan marketing. «Nous voulions d’abord le faire découvrir à travers ses fans.» Lors de sa deuxième tournée, qui a débuté en mars dernier, le chanteur commence par des prestations remarquées au prestigieux South by Southwest d’Austin. Devant un parterre de professionnels de la presse et de la musique, son envol prend sa pleine puissance. La couverture médiatique force l’admiration et les réseaux sociaux explosent! C’est là que Republic Records, son label, qui appartient à la major Universal Music, a lancé une campagne d’affiches à l’effigie du maestro avec l’intitulé «Who the hell is Stromae?». Des photos évoquant son univers excentrique et ingénieux ont été placardées partout dans la ville texane. On pouvait également en apercevoir il y a une quinzaine de jours à Indio, en Californie, où le talentueux auteur-compositeur-interprète se produisait sur la scène de l’illustre festival Coachella.

Parmi une vingtaine d’autres tourneurs indépendants ou de grands noms du secteur, comme Live Nation, Elliott Lefko, vice-président de Golden Voice, promeut les concerts du Belge en Californie du Sud. Responsable de ce rassemblement musical qui attire 150 000 personnes sur deux week-ends, il explique: «A Coachella, nous accueillons plus de 135 groupes. Nous avons les meilleurs artistes du monde, et Stromae en fait partie.» Et de s’enflammer lui aussi sur son immense talent: «Nous avons tout de suite accepté de collaborer à sa percée américaine, tout s’est passé très vite, ce qui est rare. Les gens l’adorent. Il va continuer à grandir et devenir de plus en plus populaire. La différence avec les autres? Son naturel. C’est très difficile pour les artistes européens de réussir aux Etats-Unis, mais lui est l’exception à la règle.»

Les journalistes séduits

La journaliste Salima Koroma n’hésite pas à le qualifier de génie. Elle a réalisé une vidéo pour le site du Time Magazine. Avant le tournage, Paul s’est excusé de son faible niveau en anglais. Salima l’a trouvé très courageux de s’exposer ainsi, avec humilité et authenticité. «Il est magnifique, vraiment sympa et comique. Comme un enfant, taquin. Complètement à l’aise, il prend véritablement du plaisir dans tout ce qu’il fait. Je l’admire, car il chante en français, la langue avec laquelle il se sent à l’aise.»

Guy Trebay a aussi interviewé le phénomène belge, pour le New York Times. «Je l’ai connu avec Tous les mêmes. J’ai été fasciné par l’ambiguïté des genres, mais surtout par l’excentricité frappante de ses mouvements: une fusion entre Thriller et une danse apache. Je me suis alors demandé ce que j’étais en train de regarder.» Au Rolling Stone Magazine, Brittany Spanos exprime le même emballement: «Il est entraînant et universel. On se connecte à lui émotionnellement, c’est facile de s’identifier.» Pour la journaliste new-yorkaise, Stromae va poursuivre son ascension et remplira bientôt des stades. «Je suis très excitée de voir jusqu’où sa carrière le conduira.» L’engouement est général, et contagieux. Viral, le phénomène «stromaesque» essaime à travers le pays. Pour la radio publique nationale NPR, les paroles du chanteur offrent une vision différente du monde.

Le lendemain de son concert à Los Angeles, le trentenaire continuait à assurer sa promotion en étant l’invité du Jimmy Kimmel Live! La populaire émission, enregistrée à Hollywood, accueille les stars de l’actualité. Impressionnant, vu de la côte ouest! Christian Bernhardt ne s’est pas trompé. «Ma plus grande joie, avoue-t-il, est de créer quelque chose d’unique avec cet artiste venu de Belgique et chantant en français. Lorsque nous avons commencé notre collaboration, des personnes du milieu ne pensaient pas que ça pouvait marcher, à cause de la différence de langue. Je l’encourage à continuer en français et à rester authentique, parce que ça a toujours fonctionné pour lui ainsi!»


Stromae en prof de français

Au concert d’octobre dernier à Los Angeles, Fataneh, professeure de français, s’exclamait: «On commence chaque journée en écoutant Stromae!» Et elle n’est pas la seule: plusieurs enseignants sont parmi les premiers à avoir parlé du talent du chanteur à travers les thèmes abordés dans ses textes subtils et fouillés. «Si ma prof n’était pas aussi obsédée par lui, le cours ne serait pas très amusant», confie Charlie Weiss, élève à la Canada High School. Merissa Sadler enseigne dans cette école secondaire, près de Pasadena: «Je suis un peu folle, je fais rigoler mes élèves avec des mises en scène sur Stromae. Il a ouvert ma classe sur un autre monde et rendu mes cours plus excitants grâce à ses paroles profondes et pertinentes. Le plus difficile, c’est toujours d’intéresser les élèves.» Pour Fadhima Thiam, mère d’Aïda, 13 ans, les chansons renferment des messages qui donnent à penser. Sa fille a appris Papaoutai dans son école de New York. «J’adore cette chanson à propos de son papa. Les paroles sont fortes. Il est brillant et très inspirant! Dans Formidable, je ressens qu’il a perdu une personne qu’il aime. Je comprends sa peine», souffle timidement la jeune adolescente.

Plus au nord, dans le Minnesota, Kendra Waldauer donne des cours de français aux étudiants débutants à la Richfield High School. «C’est un maître de la langue française. Très impressionnant! Un artiste doué, vraiment pas comme les autres.» Elle utilise depuis longtemps la musique pour transmettre son amour pour notre langue. D’abord Jacques Brel ou Francis Cabrel, aujourd’hui Indila ou Christophe Maé. Mais Stromae, c’est le chouchou. «Je leur montre d’abord les vidéos. Ils s’expriment sur ce qu’ils ont compris grâce aux images, mais aussi aux ressentis des émotions. Ensuite, ils complètent le texte lacunaire avec des mots de vocabulaire. Chez eux, ils écoutent la chanson, tous les jours. Avec Ta fête, nous avons étudié le futur proche; avec Formidable, l’imparfait. Stromae fait tout le travail pour moi!» 
 


«La folie est toujours au rendez-vous»

Il sort du concert donné au Club Nokia de Los Angeles avec son ami d’enfance. Tous deux portent fièrement le polo et les chaussettes No 5 de Mosaert, la marque créée par Stromae avec la styliste Coralie Barbier. Résidents d’Estavayer-le-Lac, Steeve Silva et Marcelo Reis, 23 ans, ont réalisé leur rêve de road trip californien grâce à leur admiration pour celui qu’ils appellent affectueusement Paul. Comme s’ils parlaient d’un pote, d’un frère.

«Il est humble et reste accessible, c’est ce qui est beau. Et ça ne changera pas!» confient-ils. Les deux copains suivent Stromae depuis fin 2013. Steeve le découvre d’abord, en assistant à un premier concert à Genève. Touché par l’univers du dandy multicolore, il embarque Marcelo dans une enthousiasmante spirale. Ils assistent à d’autres concerts, au Paléo Festival puis à Zurich. Steeve, administrateur du forum officiel stromaeometre.com, voyage seul à Rome pour assister à un autre show. «La folie et l’énergie sont toujours au rendez-vous.» Le fan se rend aussi compte, en Italie, de la popularité internationale du brillant performeur.

Steeve et Marcelo ont terminé leur voyage de deux semaines sur la côte ouest, entre San Francisco, Los Angeles et Las Vegas, pour vivre, une fois encore, la magie du génie belge. «Il n’a pas un style de musique propre. Il fait du Stromae.» Les deux Romands en sont convaincus: «Il va influencer la musique, comme Michael Jackson l’a révolutionnée!» 

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RICHARD DALTON 2015
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