Rencontre. Sur son quatrième album, Marc Aymon chante pour la première fois les mots d’un autre. Coécrit avec le Breton Alexandre Varlet, «D’une seule bouche» est un disque lumineux.
Dès qu’on lui demande d’évoquer quelques titres de son quatrième album, il a les yeux qui brillent et la voix qui tremble. Il s’excuse, mais c’est plus fort que lui. Tenter de décrire D’une seule bouche, un disque enregistré aux studios La Frette, près de Paris, fait remonter une foultitude de beaux souvenirs qui vont l’accompagner longtemps.
Il est comme ça, Marc Aymon. A fleur de peau, sincère. On peut facilement lui coller des étiquettes, dire que c’est un gars attachant avec lequel on a envie d’aller boire un verre pour parler de la vie, mais ce serait omettre l’essentiel.
Marc Aymon, c’est surtout un bel artiste, un chanteur qui, en bientôt dix ans de carrière, a pris de l’assurance sans perdre de sa spontanéité. Au point que ça en devient agaçant: à chaque fois qu’il publie un nouvel enregistrement, on doit se résoudre à écrire qu’il s’agit là de ce qu’il a fait de mieux.
«Quitter la route, prendre un virage inattendu», chante-t-il sur Le virage, un titre joliment rentre-dedans, basse qui claque comme aux grandes heures de la new wave, rythmique binaire et voix cotonneuse. «Mon angoisse, ça a toujours été de refaire la même chose et de m’ennuyer, confesse le Valaisan.
J’aime aller là où je ne suis encore jamais allé, poser des questions, être aux aguets. Je préfère les petits chemins caillouteux à l’autoroute, passer par la fenêtre plutôt que par la porte.» Virage déjà en 2012, lorsqu’il revenait de Nashville avec un album plus rock et teinté de blues. Nouveau tournant cette année avec ce D’une seule bouche qui le voit interpréter des textes qu’il n’a pas écrits.
C’est grâce au photographe Yann Orhan que Marc Aymon découvre Alexandre Varlet, chanteur rare et précieux installé près de Saint-Malo. Il lui rend visite et lui propose quelques mélodies. Cela tombe bien, le Breton a des textes. L’entente est telle que les deux hommes se retrouveront en studio.
«Il aime le rapport à la nature, la folk et la country. Je savais qu’il pouvait m’emmener quelque part», dit le Romand qui, pour L’Hebdo, commente quatre de ses nouveaux morceaux.
«peut-être toi»
«C’est une des premières chansons qui est arrivée, et c’est ma préférée. J’adore l’histoire de Mickey Rourke, qui était allé demander à Bruce Springsteen de lui écrire un morceau pour The Wrestler. On lui propose souvent des millions pour écrire des chansons, et souvent il refuse parce qu’il réfléchit d’abord avec son cœur.
Dans ce film, Rourke joue le rôle d’un catcheur has been au moment où, dans sa vie, il est vraiment lui-même has been. Du coup, Springsteen lui a écrit The Wrestler, qui dit: «Si tu croises ma joie et mon sourire, c’est peut-être toi.»
Parfois, ce qu’on préfère chez soi, ce sont les gens qui nous entourent. Car ce qui est rassurant, c’est qu’ils nous entourent parce qu’ils nous ressemblent. Et moi, j’ai des gens tellement formidables autour de moi que j’espère leur ressembler. Peut-être toi, c’est une chanson qui commence guitare-voix.
On entend les respirations, on entend des craquements, le tabouret du batteur, puis sur le deuxième couplet arrive un orgue Hammond, un vrai, avec des notes magiques. Il y a une ouverture incroyable.»
«j’fais l’hélicoptère»
«On avait commencé ce titre avec seulement une guitare, mais finalement on s’est dit qu’on allait y ajouter des claviers et une batterie. Ce morceau est très pop, extrêmement musical. Quant au texte, on voulait un peu déconner. On ne sait pas trop ce que cela veut dire, on ne comprend pas totalement.
Je ne sais d’ailleurs finalement pas très bien expliquer cette chanson, parce que cet humour, c’est nouveau pour moi. Mais c’est en même temps une joie incroyable d’avoir trouvé une évidence qui me met en paix. J’ai l’impression que cela se ressent, et que le regard des gens sur moi est différent.
Je me sens habillé par ces nouvelles chansons. Elles sont belles, je n’ai eu qu’à les offrir. On a enregistré l’album dans des conditions live. On était tous en rond, on se regardait. On a laissé les silences, les hésitations. Il n’y a eu aucune manipulation, aucune compression du son. On a simplement joué. On a fait les choses pour se faire plaisir, comme je crois qu’elles devraient toujours être faites.»
«tu mets la barre haut»
«C’est une chanson très particulière. J’avais parlé à Alexandre d’une personne particulière, et d’un sentiment. Il m’a alors dit: «Attends, je vais te montrer quelque chose.» Et il m’a fait écouter cette chanson qui m’a ému. Il l’avait entièrement écrite et gardée dans un tiroir. C’est une simple déclaration d’amour, celle d’un homme à sa femme, ou d’un père à son fils.
S’emparer des mots d’un autre, même si tu y mets ta touche, c’est assez fabuleux. Parce que cela te fait dire des choses que tu n’aurais pas trouvées toi-même. Alexandre m’a amené dans des territoires inconnus, m’a fait chanter des choses plus sensuelles et plus rentre-dedans, que je n’aurais pas osé écrire. Je me suis laissé surprendre.
Est-ce que c’est bien moi? L’art peut nous aider à nous découvrir. Dans cette chanson, je me découvre père, je me découvre rassurant, observateur. C’est aussi un éloge de la lenteur, de la fuite du sensationnel. «Tu me donnes envie de devenir meilleur», c’est le plus beau compliment qu’on puisse faire à quelqu’un.»
«la force sous ton capot»
«Alexandre, c’est un grand amoureux de la Californie, où il n’est paradoxalement jamais allé. J’aimerais bien, un jour, l’emmener là-bas. On ira peut-être y écrire le prochain disque, qui sait… Dans cette chanson, il y a quelque chose qui évoque les grands espaces, Nashville. Il a aussi apporté de la sensualité, et ce côté Tom Petty, entre la force tranquille et le vieux baroudeur.
Ma voix est très posée, mais il y a cette image du galop des chevaux, qui dit que j’aime emporter les gens. J’adore ce refrain très mélodique, où l’on fait «waouh». A la fin, on entend cette guitare électrique qui sonne un peu faux, mais qui est vraie.
Y en a marre de devoir toujours être juste, parfait. Ce disque, je l’assume totalement, du début à la fin, jusqu’à l’extrême virgule. C’est d’ailleurs la première fois qu’on me voit de face sur la pochette. Sur la précédente, j’avais refusé une photo frontale.»