«Le bleu de l’or». L’orgasme peut-il conduire au divin? Ou l’expérience mystique n’est-elle qu’un effet collatéral de notre aptitude à jouir? Le roman de Daniel Cordonier mêle quête et enquête.
Les femmes sont des géantes, fascinantes et opaques. On croit les saisir, les connaître, les pénétrer, et on s’aperçoit un jour qu’on a aimé une totale étrangère. Les femmes, dans l’univers de Daniel Cordonier, sont l’Autre absolu dont on ne saura jamais rien, mais dont le mystère domine notre vie. De là à ce que le féminin prenne carrément les traits d’une domina…
Au troisième roman, Daniel Cordonier a osé. Défiant le mauvais goût et les dégâts collatéraux des modes éditoriales, il propose même une audacieuse et perturbante méditation, à mille lieues du cynisme houellebecquien, sur les vertus de la soumission.
La dominatrice genevoise qu’il campe dans Le bleu de l’or revendique une fonction spirituelle: elle aide les hommes à guérir de leur méfiance, ce poison qui empêche d’accéder à l’amour. S’abandonner à l’Autre, voilà la victoire. Et peut-être le premier pas vers une extase moins terrestre.
Daniel Cordonier est psychologue et dirige l’Office d’orientation scolaire et professionnelle du Valais. Ceux qui l’ont découvert avec son premier livre, le formidable Ordre des femmes, savent peut-être comment il est devenu romancier: il voulait faire un livre de vulgarisation psychologique sur l’amour et le défi sans précédent que constitue le couple au troisième millénaire.
Devant la montagne de publications sur le sujet, il a cherché à se démarquer et a inventé le psycho-thriller à formule enrichie. Lequel se compose pour moitié de mystères, rebondissements et courses poursuites intérieures frénétiques, pour moitié de vulgarisation scientifique sur un sujet ou un autre.
La recette du Bleu de l’or reste fidèle à celle des deux premiers romans. L’alliage n’est pas toujours très harmonieux: on butte contre la maladresse des dialogues («Pourrais-tu développer ton explication?»), on progresse laborieusement dans certains passages, on regrette les flamboyances stylistiques des maîtres de l’écriture. Mais, au bout du compte, on est à la fois pris par l’intrigue et nourri, émotionnellement et intellectuellement.
L’ordre des femmes confrontait la psychologie jungienne et évolutionniste. Le féminin du temps nous initiait à la physique quantique. Avec Le bleu de l’or, on découvre la neurothéologie – qui traque les traces de Dieu dans le cerveau – à travers l’histoire de deux frères en quête d’extase.
Le premier, homme de vertu et de prière, l’atteint par la méditation; le second par la contemplation du corps des femmes. Mais le plus proche du divin n’est pas celui qu’on croit.
Voici quelques questions que le héros, Thomas Gottier, bijoutier genevois victime d’un séisme existentiel, est amené à se poser: l’orgasme peut-il conduire à Dieu? Ou alors l’expérience mystique n’est-elle qu’un effet collatéral de notre aptitude à jouir?
Au bord du gouffre, Thomas atteint une forme d’extase, avant d’apprendre qu’il souffre d’épilepsie, comme le prophète Mahomet et quelques autres. Epilepsie et crise mystique vont souvent de pair, lui confirme une neurologue. Mais une fois qu’on a dit cela? On n’a pas prouvé que la maladie ne fait pas partie d’un plan divin.
Que cherche Thomas, Dieu ou la femme? Il ne le sait pas lui-même mais, en racontant son histoire, il découvre une autre forme d’abandon: celle de l’écrivain à son lecteur, cet être auquel on s’adresse sans avoir la preuve de son existence. «Je m’en remets à vous», finit-il par nous dire. Belle mise en abyme de l’écriture comme quête spirituelle.