Zoom. Jafar Panahi et Mehran Tamadon signent des films cousins dans lesquels ils questionnent cette société iranienne qui veut étouffer les voix discordantes. Edifiant.
Le plan est fixe. Placée dans une rue de Téhéran, la caméra montre le flux des passants. Plusieurs d’entre eux s’arrêtent, semblent nous dévisager et s’inclinent. On comprend vite qu’ils regardent quelque chose dans le hors-champ.
Une mosquée, en l’occurrence, où l’on pénétrera ensuite pour y entendre un prêche véhément à la gloire de feu l’ayatollah Khomeiny. Ainsi s’ouvre Iranien, un documentaire signé Mehran Tamadon, exilé en France, loin de son pays d’origine, où le défenseur de la laïcité qu’il est n’a pas sa place.
Voici un autre plan fixe, qui nous montre à nouveau une rue et ses passants, mais depuis l’habitacle d’un taxi. Interdit de tournage et de sortie du territoire, Jafar Panahi fait acte de résistance avec Taxi Téhéran, un film tourné clandestinement et dans lequel il se mue en chauffeur pour scruter la société iranienne.
La similitude entre les ouvertures des deux longs métrages est troublante. Mais, au-delà de ce hasard, tous deux disent la difficulté d’être artiste et de vouloir poser des questions dans un pays se distinguant par son fondamentalisme religieux.
Taxi Téhéran ressemble à un documentaire. Panahi roule dans la capitale iranienne et converse avec ses passagers successifs. Mais, très vite, on sent qu’il y a là de la fiction et un scénario, que tout n’est pas le fruit du hasard.
Récompensé à Berlin d’un Ours d’or saluant plus le courage d’un homme que l’on veut museler que les qualités esthétiques de son film, ce road movie hybride et roublard prend surtout de la hauteur dans sa dernière partie, lorsque la nièce du cinéaste vient dans une habile mise en abyme – elle filme une scène en dehors du véhicule à l’aide d’un petit appareil de photo – lui rappeler les règles à respecter si l’on veut échapper à la censure. Iranien, qui a valu à Tamadon une confiscation définitive de son passeport si un jour il retourne en Iran, est quant à lui plus frontal dans sa dénonciation.
Dialogue de sourds
Le réalisateur a proposé à quatre mollahs de partager avec lui, le temps d’un week-end, une maison. Entre cet athée convaincu et ces intégristes aveuglés, la discussion, forcément, sera faite d’incompréhensions et d’effarements face à des positions impossibles, pour l’un comme pour les autres, à comprendre. Tamadon, à travers un montage privilégiant les longues discussions plutôt qu’une mosaïque de moments épars, parvient heureusement à éviter le côté télé-réalité inhérent à son projet pour évoquer plutôt le concept de cinéma-vérité mis en avant par Jean Rouch et Edgar Morin au début des années 60.
Habilement, il place ces «adversaires», que l’on découvre parfois rieurs sous leurs airs de fous de Dieu, face à leurs contradictions. Comme lorsqu’ils disent que pour éviter un divorce, mari et femme doivent se connaître avant de se marier, mais qu’une cohabitation avant le mariage est intolérable.
Tamadon défend le vivre ensemble, ses interlocuteurs estiment qu’un laïc qui prône une séparation Etat/religion est lui aussi intolérant. L’un des derniers plans le montre seul et pensif. C’est finalement un dialogue de sourds qu’il a filmé, de même que Panahi n’arrivera jamais à faire entendre raison à ceux qui veulent le museler.