Entretien. Il habite entre New York, Paris, Londres et Berlin, se décrit comme un voyageur compulsif et situe au Maroc son nouveau roman «Mirage». A l’occasion du lancement de ce thriller conjugal le 1er mai au Salon du livre de Genève, l’écrivain américain se confie en mode nomade.
Lorsque Paul et Robyn débarquent au Maroc pour quelques mois sabbatiques, ils s’aiment et veulent un enfant. Mais, très vite, Robyn découvre que Paul lui cache des pans entiers de sa vie. Et que le Maroc fait partie de l’équation. Le jour où Paul disparaît, Robyn se lance dans une quête qui l’emmène d’Essaouira au fond du Sahara berbère. Mirage, le douzième roman de Douglas Kennedy, se lit comme un thriller conjugal passionnant dans lequel l’ailleurs sert de révélateur aux destins personnels. Une véritable profession de foi pour un écrivain qui a la bougeotte: né à New York le 1er janvier 1955, parti pour Dublin à l’âge de 22 ans, il partage son temps entre les Etats-Unis, Paris, Londres et Berlin. Rencontre à Paris, dans son pied-à-terre du Xe arrondissement, non loin du canal Saint-Martin.
Votre nouveau roman, «Mirage», se passe au Maroc. Un bon décor de roman en général, en particulier pour un couple en crise?
Je suis allé onze fois au Maroc. J’ai toujours eu une énorme fascination pour le monde arabe – mon premier livre, Au-delà des pyramides, se passait en Egypte, où j’ai vécu plusieurs mois en 1985. Le Maroc a toujours eu un grand pouvoir d’attraction sur moi. Ses influences multiples – arabes, musulmanes, européennes –, ses paysages grandioses, la manière dont se chevauchent les ingrédients modernes, médiévaux et mythiques… Cela fait des années que je songeais à y situer un roman. L’idée a pris forme en automne 2013, lors d’un voyage dans le Sahara marocain.
Leur voyage au Maroc va transformer Robyn et Paul, qui vont se découvrir pour le meilleur et le pire. Voyager est une bonne thérapie de couple?
Je suis un voyageur obsessionnel – 59 pays visités à ce jour. Je me suis embarqué dans des périples à des moments de grandes crises personnelles. J’avais évidemment l’espoir que la distance et un changement radical de décor allaient dévier la trajectoire des choses. Mais Homère a raison dans L’Odyssée: tous les voyages finissent par nous ramener à la maison. On peut bien disparaître dans l’immensité géographique et espérer se dépouiller de son passé, de son bagage émotionnel et psychologique, mais vous les portez partout où vous allez. C’est pareil pour un couple en crise: il peut bien, comme Robyn et Paul, disparaître ensemble au Maroc pendant plusieurs mois dans l’espoir de sauver leur mariage, mais le mariage lui-même les accompagne.
Vous avez signé, avant vos romans, trois longs récits de voyage, soit «Au-delà des pyramides», «Au pays de Dieu» et «Combien?». Vous rêviez d’être Nicolas Bouvier?
J’ai toujours voulu être romancier, et mon vœu a été exaucé! Mais, au début de ma carrière, l’idée d’écrire un roman m’intimidait; du coup, j’ai écrit ces trois récits de voyage. Ils ont été comme un terrain d’exercice pour le travail de romancier qui me tendait les bras. J’ai appris à décrire un paysage, construire un personnage.
Lisez-vous des écrivains voyageurs?
Je reviens toujours aux grands maîtres du genre: Eric Newby, Graham Greene, V. S. Naipaul, Bruce Chatwin, Jonathan Raban, Paul Theroux. Tous des Anglais, à part Theroux qui, comme moi, a vécu en tant qu’Américain à Londres pendant des décennies. Et qui a fini par revenir aux Etats-Unis… Le titre du récit de voyage que je préfère: In Search of a Character (A la recherche d’un personnage) de Graham Greene. Tous les écrivains voyagent à la recherche d’un personnage.
Vous êtes un nomade et ne passez jamais plus de quelques jours ou semaines au même endroit. La peur de l’ennui?
J’ai une hypothèse à propos de la vie: «Tout est supportable avec un billet aller-retour.» Je refuse l’ennui, oui. C’est pourquoi je voyage sans cesse, suis toujours en train de lire, d’aller au théâtre, au cinéma, au concert, au club de jazz. La curiosité est un ressort clé de ma vie. Et la curiosité est un synonyme de passion. Une vie sans passion… c’est ça, l’ennui!
Avez-vous toujours eu la bougeotte à ce point?
J’ai grandi dans un mariage calamiteux; du coup, dès l’enfance, je rêvais de m’aventurer très loin. A 22 ans, j’ai fui les pressions familiales à Dublin. J’y ai fondé une compagnie théâtrale, avant d’administrer le studio du National Theatre of Ireland. J’ai aussi commencé à écrire la nuit. La BBC m’a acheté ma première pièce lorsque j’avais 24 ans. Fuir a donc des avantages! Mais, si je suis un nomade, je suis aussi un père. Mon fils, Max, a 22 ans, et ma fille, Amelia, presque 19. Nous sommes très proches, même si nous n’habitons plus ensemble. Ils sont au centre de ma vie. Avoir des enfants m’a ancré de la manière la plus positive qui soit. Je suis un nomade avec des responsabilités!
Vous avez un pied à Paris, l’autre à Londres ou encore Berlin, New York, Montréal et enfin une maison dans le Maine. De quoi avoir le tournis?
J’ai vécu à Londres pendant vingt-trois ans, plus longtemps que partout ailleurs. J’ai trouvé un petit appartement à Paris en 2000, et un plus grand en 2010 – la France est devenue un élément essentiel de ma vie, d’autant plus qu’après huit ans de leçons privées, je maîtrise enfin la langue… Je suis allé à Berlin en 2006 et j’ai découvert que je pouvais alors acheter un appartement pour la même somme qu’une BMW. Le Maine, c’est mon refuge. Montréal est l’endroit où mon épouse vit et consulte comme psychanalyste. Une femme brillante! New York? Il fallait que j’y revienne. C’est ma maison. Je suis donc un nomade avec des attaches et des racines.
Quel impact ce mode de vie a-t-il sur vous?
Ce qui fait la beauté de ce mode de vie, c’est que vous avez une vie différente partout mais que, pourtant, c’est toujours votre propre vie.
Votre valise est donc votre meilleure amie?
Si je passe d’un de mes appartements à un autre, je ne voyage qu’avec mon ordinateur, un livre ou des revues à lire pendant le trajet, un carnet de notes, un stylo et un iPod rempli de musique classique et de jazz. Je voyage toujours le plus léger possible.
Comment luttez-vous contre le décalage horaire?
Comme je vis dans un jet lag permanent, et que je suis insomniaque, j’utilise les heures sans sommeil comme du temps en plus pour écrire. Beaucoup de mes romans ont été écrits lors de longues nuits blanches… La femme du Ve, par exemple, a été écrit alors que mon mariage précédent s’écroulait et que je ne dormais que trois ou quatre heures par nuit. C’est ça, un écrivain: même les événements les plus difficiles de votre vie servent l’écriture. Et je peux écrire partout. Dans un train, un café, un avion. Même dans le métro.
Etes-vous un voyageur enclin à adresser la parole à son voisin de siège?
Je suis d’une curiosité sans fin en ce qui concerne la vie des autres. Plusieurs de mes anciennes petites amies remarquaient que je pose beaucoup de questions. La vie des autres, c’est toujours le sujet, pour moi.
Et pour les vacances, quand l’écrivain se transforme en touriste, où va-t-il?
Mon idée des vacances est un endroit intéressant où je peux échapper au monde. La Jamaïque en janvier est merveilleuse. En quatre heures, je peux fuir l’hiver glacial de New York et me retrouver dans un climat tropical. L’endroit est vraiment funky, et j’ai découvert un petit hôtel loin de tout. Le Costa Rica est un autre de mes lieux de fuite favoris, d’autant que c’est aussi une démocratie exemplaire au cœur d’une région troublée. Comme je suis un grand amateur de ski de fond, je vais chaque année à Lake Louise, dans les Rocheuses canadiennes, et j’ai découvert un endroit étonnant des Dolomites, en Italie, appelé Seiser Alm, à plus de 2000 mètres d’altitude. Il y a des moments dans la vie où l’on a tous besoin de trouver un endroit où se cacher, loin de tout. ■
«Mirage». De Douglas Kennedy. Belfond, 400 p. Sortie le 1er mai.
Lancement le 1er mai à 17 h au Salon du livre de Genève (Apostrophe). Puis scène du voyage le 2 mai à 13 h et scène philo le 3 mai à 13 h pour parler de Hillary Clinton avec le journaliste du «JDD» François Clemenceau.