Parfois, à tort, rapproché de l’art brut, l’artiste français Fred Deux, 90 ans, mène depuis 1948 une quête graphique commencée sous l’aile d’un génie, Paul Klee. C’est en tombant, dans la librairie marseillaise où il travaillait alors, sur un catalogue d’exposition de Klee que Fred Deux s’est lancé dans le dessin, comme on plonge sous la surface des apparences.
Il a commencé, à la manière des surréalistes dont il était proche, par utiliser des taches aléatoires de peinture, qu’il rehaussait ensuite de traits fins au crayon ou à l’encre. Puis le trait noir organique, proliférant, donnant naissance à des monstres ou à des paysages, s’est suffi à lui-même avant que ne revienne, plus tard, la couleur.
Egalement écrivain, Fred Deux accompagne ses dessins de mots qui sont moins des titres qu’une pensée qui se traduit simultanément par deux écritures. L’artiste a aussi réalisé des livres manuscrits à un unique exemplaire, comme le Kaddisch de la religion juive, mêlant le texte calligraphié et l’illustration.
A visiter l’exposition du Musée Jenisch, qui a reçu en donation un ensemble de 60 pièces de Fred Deux, on pense aux dessins de Klee, de Bellmer ou de Michaux pour cette rage de vouloir pénétrer à tout prix l’espace du dedans en multipliant à l’infini les émergences et résurgences, les plis et replis, les allées et venues entre le monde d’ici et la folle du logis.
Ses angoisses primordiales, ses plaisirs sensuels, Fred Deux les incarne dans un trait qui rejoue la naissance de la vie par divisions cellulaires, bourgeonnements successifs et cris primaux. L’artiste ne commande pas le dessin, c’est le graphite qui mène cette recherche des origines, allant où bon lui semble.
Le crayon comme baguette de sourcier ou de sorcier, on ne sait trop bien. Ce voyage intérieur est fascinant, hélas un rien assombri, littéralement, par la lumière basse qui baigne les trois salles d’exposition. Les normes d’éclairement des œuvres sur papier sont de plus en plus sévères, certes pour préserver la pâte fragile, mais au prix d’un plaisir atténué de la découverte.