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Milan: la Scala, merveilles et exaspérations

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Jeudi, 16 Avril, 2015 - 05:48

Milanais de mère et de cœur,notre blogueur Charles Poncet savoure le privilège rare d’un abonnement à la Scala. Impressions et mode d’emploi.

La Scala est l’Italie du Nord, ses merveilles, ses travers et ses contradictions. Il fallut d’abord un monarque autrichien pour en ordonner la construction: Marie-Thérèse voulait Milan en duché de son empire, et c’est elle qui y donna libre cours au génie de Piermarini. Démolie par les bombes anglaises en 1943, mais restaurée, on y respire l’unité italienne et, à la fin d’un Nabucco admirable, les Milanais mêlent encore à leurs applaudissements ces «Evviva Verdi!» que la censure autrichienne tolérait malgré leur provocation implicite: «V.E.R.D.I.» signifiait aussi «Vittorio Emanuele Re d’Italia»…

Le rideau se lève sur la plus belle salle du monde et le fantôme de Maria Callas murmurant à jamais «Casta diva» de Norma s’éclipse en douceur avec un regard narquois sur celui de Renata Tebaldi, la rivale qui bannit Maria de la Scala pour un temps. Le ténor entre en scène, on l’imagine inquiet: le loggione – nous dirions le poulailler, ou le paradis – et ses loggionisti – «les enfants du paradis» – sont féroces, et Roberto Alagna fut sifflé si brutalement dans Aïda qu’on le remplaça aussitôt. A l’ouverture d’un Ballo in maschera affligé d’une de ces «nouvelles lectures» de notre époque décadente – déguisant Riccardo d’un costume-cravate avec en plus une bagnole et de jeunes femmes façon West Side Story se tortillant sur la scène –, comme j’ai aimé les cris de «Vergogna, vergogna!»* de ces merveilleux loggionisti!

La Scala est italienne comme le Taj Mahal est indien, mais c’est aussi l’Italie d’aujourd’hui, ses travers et ses exaspérations: passons sur l’abominable buste d’Arturo Toscanini, planté dans un foyer qui mériterait mieux – le pauvre maestro semble sculpté par Arno Breker, lui qui fut pourtant antifasciste de la première heure –, mais la terrasse – la merveilleuse terrasse de la Scala – est fermée, même l’été, pour de prétendues «raisons de sécurité» qui cachent la flemme de l’aménager et l’omnipotence de syndicats décidant à leur gré ce qu’ils accepteront ou non. En juin dernier, ainsi, pas de Così fan tutte, et tant pis pour Daniel Barenboim, les musiciens, les artistes, le public venu du monde entier! Sans le moindre avertissement – pas un e-mail, pas un mot sur le site web, pas un SMS –, un vague écriteau à l’entrée annonce: «The management regrets to inform that due to a strike…» Vaffanculo! Pas de représentation, car un syndicat a ordonné la grève!

Là où le Staatsoper de Vienne salue la joie de vivre à la viennoise, réserve les tables du foyer – sans supplément –, sert des amuse-bouches délicieux arrosés de Veuve Clicquot à un prix raisonnable, attendez-vous à la Scala à un maigre «champagne» (chinois?) cher payé, servi avec trois cacahuètes à la diable et à la rigueur un sandwich médiocre, emballé dans du plastique, façon relais d’autoroute. Une véritable honte, née du je-m’en-foutisme général qui ravage le secteur public italien.

J’oubliais: il est à peu près impossible d’avoir des placesà la Scala pour le commun des mortels! Qui n’a pas d’abonnement peut essayer de se précipiter sur le site www.teatroallascala.ità l’aube du jour de la mise en vente, mais il y a peu de chances d’y trouver des billets. On peut aussi foncer à la billetterie – pas au théâtre, ce serait trop simple: la meilleure est dans la station de métro place du Dôme… – faire la queue et tenter sa chance. Racket organisé ou délicate attention pour visiteurs venus d’ailleurs, on trouve plus facilement des billets sur les sites web étrangers. En désespoir de cause, il restera la bonne vieille combine à l’italienne: un concierge d’hôtel digne de ce nom saura trouver des places avec un «modeste supplément», qui peut aller jusqu’à 500%. A ce prix-là, le DVD devient compétitif…

La Scala, cette merveille, cet opéra qui devrait être le plus beau du monde, c’est aussi «povera Italia», pauvre Italie: admirable pays, peuplé de gens merveilleux, mais affligé d’une malédiction tenace qui l’empêche d’accomplir sa vocation. 


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Rudy Amisano, Teatro alla Scala / AP Photo
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