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Cinéma: les dieux si humains de Christophe Honoré

Jeudi, 9 Avril, 2015 - 05:57

Rencontre. «Métamorphoses», beau film bizarre, cartographie la beauté des corps en 2015 et adapte Ovide dans les banlieues du sud de la France.

Adapter «Les métamorphoses» d’Ovide, écrit il y a deux mille ans, et les transposer dans le sud de la France aujourd’hui, en banlieue, avec des musiques de Ravel et des chansons de Baxter Dury, voilà comment le cinéaste des Chansons d’amour a choisi de se réinventer.

A l’orée du film, Actéon le chasseur surprend Diane au bain. Une Diane transsexuelle, fantasmagorique comme le sont les dieux, et en même temps tellement de notre temps. Mal lui en prend: il finira, puni pour avoir regardé (et désiré) la déesse, changé en animal. Actéon sera tiré au fusil par un autre chasseur.

Dès le début, nous apprenons donc que la frontière entre les genres et les espèces est poreuse. Et que les dieux n’aiment pas qu’on les regarde. Que risque le spectateur à les voir batifoler pendant plus d’une heure et demie? D’être métamorphosé, lui aussi. Mais seulement s’il consent à s’ouvrir à un rythme, une temporalité et une esthétique éloignés du cinéma dominant.

Christophe Honoré avait filmé les chassés-croisés amoureux d’une jeunesse parisienne (Les chansons d’amour, son meilleur film, une comédie musicale avec Chiara Mastroianni et Louis Garrel).

Tourné avec des «monstres» du cinéma (Catherine Deneuve, dans Les bien-aimés, ou la porno star gay François Sagat, dans Homme au bain). Il filme cette fois le désir hors norme des dieux. Pan, Bacchus, Jupiter, Junon s’amourachent égoïstement d’humains souvent ravis de force.

Poésie et liberté

L’amour y est carnassier et cruel, les corps imparfaits et beaux de leurs imperfections, les acteurs non professionnels troublants et justes. Les paysages de la France des banlieues apparaissent sous une lumière nouvelle, magnifique.

Autant de raisons d’aller voir ce film. Surtout, c’est une œuvre non formatée, tant au niveau narratif (les histoires s’enchâssent) que dans sa mise en scène. Vu le nombre (et la naïveté) des commentaires à charge de spectateurs outrés, lus sur la Toile en septembre dernier, lorsque le film est sorti en France, on réalise qu’il faut du courage à un artiste pour se risquer hors du convenu, assumer le bizarre, la poésie, la liberté, l’impureté de ces images.

Christophe Honoré glisse aussi dans son film sa vision de la culture occidentale. C’est vers la Méditerranée et ses mythes qu’il se tourne. Pas vers les superhéros anglo-saxons «asexués». «Avec les super­héros anglo-saxons, la métamorphose est toujours du côté de la performance.

Et de l’utilité. Chez Ovide, elle est gratuite. On est dans la dépense pure. Pour la beauté du geste», explique le cinéaste, venu défendre son film à Lausanne.

À contre-courant

L’époque aime ce qui est souligné. Christophe Honoré, lui, fuit la psychologie, cherche un réalisme qui n’a rien de sociologique, fait d’élégance et de détachement. Il filme l’absence. Ainsi, chacun de ses personnages restera secret. Une surface, un mystère. Même si les corps nus se dévoilent sans gêne.

«L’air du temps passe beaucoup par les corps que l’on filme, poursuit le cinéaste. Or, la beauté des corps diffère selon les époques. Prenez Gérard Philipe, ou Depardieu, ce n’est pas du tout la même chose. Je voulais filmer la beauté de la nouvelle génération. A laquelle je n’appartiens pas.»

D’où la mélancolie de ce film: cette beauté actuelle est inatteignable. Comme déjà perdue.

Honoré a refusé de filmer Apollon. Trop canonique. Il préfère le sauvage, le cabossé, le dionysiaque. «Je trouvais cela plus excitant, ces corps que le cinéma cache en général. C’est justement parce qu’ils sont «imparfaits», métissés qu’il y a du désir. Parce qu’il y a quelque chose qui n’est pas satisfait.»

Le MYstère de l’incarnation

Métamorphoses est résolument à contre-courant. Si l’époque est vulgaire, le film est délicat. D’un classicisme à la française, mais bricolé et joyeux (hérité de Cocteau et de Demy). Enfin, si l’époque est impatiente, Honoré ralentit, filme les paysages, la nuit, les champs d’herbe entre des immeubles.

Sa narration laisse de la place au rêve, à la pensée. Un bémol: c’est beau mais peu érotique. Détaché. Trop sage, par rapport au bouillonnement des fables d’Ovide, ou des films de Pasolini, autre modèle revendiqué?

Les amours de Zeus et du jeune Ganymède, par exemple, ont été coupées au montage. Par peur de choquer? «On n’échappe pas à la morale des sociétés dans lesquelles on crée. Je ne voulais pas être simplement provocateur sur ce thème, cela aurait été désinvolte.» Mais voir Hippomène et Atalante faire l’amour sur le tapis d’une mosquée se révèle très subversif et dérangeant pour l’œil contemporain.

Métamorphoses n’est pas un chef-d’œuvre, mais il est doux et mélancolique comme la lumière des tableaux de Poussin. En filmant les corps et les bêtes, il parvient à refléter le mystère de l’incarnation et l’évanescence de la vie.

Nous ne sommes que perpétuelle métamorphose, et l’oublions, transformés par nos désirs, nos peurs, par le temps qui passe, les êtres que nous rencontrons. Et les films que nous regardons.

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Jean-Louis Fernandez
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