Roman. Une femme est appelée d’urgence à l’hôpital. Son fils adolescent vient de faire un coma éthylique. Ce même fils que cette mère «indigne» avait presque laissé mourir de soif lorsqu’il était nourrisson… A la suite de ce choc, elle choisit de revenir sur sa mémoire familiale, fouillant un passé enfoui qui pèse sur le présent. «Je remonte le cours, à la rencontre de mes ancêtres, ce trajet d’eau vive qui m’entraîne à contre-courant et me déborde», écrit-elle. Le roman alterne entre la vie solitaire de cette femme et la saga de sa famille, sur cinq générations. Nous sommes au bord de la Ligne, rivière d’Ardèche où a été bâtie l’entreprise familiale de moulinage Ligne & Fils. Il est question de vers à soie, de cocons qu’il faut démêler à mains nues, dans l’eau bouillante, et qui peuvent contenir chacun jusqu’à un kilomètre de fil.
La Française Emmanuelle Pagano aime les fibres (cheveux ou fils de soie), qu’elle noue et dénoue de livre en livre, comme les destins de ses personnages, tissant une œuvre ambitieuse. Elle est également fascinée par l’élément aquatique (que ce soit les humeurs, les sentiments, les rivières…) Le maillage de son système d’échos et de correspondances poétiques est si serré qu’il alourdit parfois le récit. Les lacets que noue sa belle écriture ne maintiennent pas toujours le lecteur captif: il se surprend à divaguer, plongeant dans les eaux dormantes de sa propre mémoire. Et pourtant, Ligne & Fils, premier volet d’une trilogie romanesque, force l’admiration. Emmanuelle Pagano devrait explorer, dans les volets suivants, lacs et barrages, poches d’eaux souterraines, fleuves et mers… Un projet rare qui constituera, à terme, une sorte de poétique de l’eau, comme en avait écrit le philosophe Gaston Bachelard.
Son écriture évoque autant les destins intimes que l’histoire de toute une région, l’Ardèche. Il dresse le portrait d’un paysage. Et, ce faisant, il l’invente. Au détour d’une ligne, cette phrase discrète, mais qui pourrait résumer toute la littérature: «Peut-être que rien n’existe tant qu’on ne l’invente pas.»
