Critique. L’écrivaine de Ferney-Voltaire, désormais installée à Paris, livre avec «Bilqiss» la suite de son explo-ration insolente, courageuse et poignante du monde musulman vu de la planète femmes.
C’est lorsque son cœur s’est brisé pour la jeune Indienne violée dans un bus de New Delhi par six hommes ivres puis tuée par la barre de fer qui lui a transpercé le bas-ventre en 2012, et dont le monde entier a parlé, que Saphia Azzeddine a conçu Bilqiss.
Bilqiss est une femme qui, dans une cellule de prison d’un pays musulman non identifié, attend sa mort par lapidation. Son crime? Avoir pris la place du muezzin un matin où celui-ci ne s’est pas réveillé. Et puis n’avoir pas la langue dans sa poche, parfois laisser dépasser une mèche de cheveux de sa burqa, savoir lire.
Bilqiss, le roman, raconte les journées de procès qui précèdent la séance de lapidation annoncée. On entend la voix de Bilqiss, mais aussi celle du juge, conscient de l’extrême injustice de la justice qu’il est en train de rendre, et celle de Leandra, une journaliste américaine qui, débordant de compassion occidentale, est persuadée qu’elle peut sauver la prisonnière.
Bilqiss est un excellent livre, original, osé, nécessaire, rapide, efficace, sanguin, porté par une vitalité et une rage bienvenues, un roman de combat mais un roman subtil, qui renvoie dos à dos le juge et la journaliste, l’accusée et le juge, la journaliste et l’accusée, conscient que rien, jamais, nulle part, n’est ni tout noir ni tout blanc. Il confirme que Saphia Azzeddine, révélée en 2008 avec Confidences à Allah (Ed. Léo Scheer), est une voix qui compte dans la littérature francophone contemporaine.
Confidences à Allah, monologue d’une jeune bergère des montagnes du Maghreb qui tombe dans la prostitution, annonçait la couleur: Saphia Azzeddine, née en 1979 au Maroc, arrivée à l’âge de 9 ans à Ferney-Voltaire près de Genève, désormais Parisienne et enceinte de son deuxième enfant, fait sienne la cause de l’oppression de femmes par les hommes ou la religion.
Mon père est femme de ménage et La Mecque-Phuket plongeaient avec drôlerie dans les dilemmes des jeunes Maghrébins de France, Héros anonymes dans la tête d’un jeune terroriste alors que Combien veux-tu m’épouser? se gaussait de la comédie du mariage bourgeois.
Confidences à Allah est monté au théâtre, Mon père est femme de ménage au cinéma, le physique de Saphia fait fureur à la télévision, les critiques se déchirent, de Beigbeder qui flingue un «livre qui ne sert à rien» (Héros anonymes) à Patrick Besson qui salue en l’auteure une «voltairienne pleine de taches de Rousseau».
Dans la droite ligne de Confidences à Allah, Bilqiss étale l’horrible relativité du bien. «Ces hommes qui ont tué cette jeune Indienne pour la punir étaient autant convaincus de faire le bien que moi qu’ils ont fait le mal.» Son père a voulu la meilleure éducation pour elle, et qu’elle puisse toujours regarder son mari sans baisser les yeux.
«Il n’y a pas que la lapidation. La violence faite aux femmes est partout. Vous croyez vraiment que poser nue au nom du féminisme est une preuve de courage et rend service aux femmes? Poser nue est toujours une forme de dégradation, et c’est toujours pour exciter les hommes.
Et porter des pancartes #BringBackOurGirls sur les tapis de Hollywood, vous croyez vraiment que cela sert à autre chose qu’à rassurer les stars sur leur bonne conscience? Il y a d’autres manières d’influencer les gouvernements. A commencer par ne pas élire des gouvernants qui lancent des guerres à tout va.
Les hommes politiques ne font plus de politique, ils font des guerres!»
Elle ne voit pas son livre comme une charge anti-islam. «Mon héroïne reste croyante jusqu’au bout. Elle sait que ce sont les hommes autour d’elle qui dévoient sa religion. Je ne vois pas plus bel hommage à l’islam.»