Le Malien Malick Sidibé est l’un des photographes africains parmi les plus réputés. Ses portraits de la jeunesse bamakoise sont d’extraordinaires témoignages. A Lausanne, une exposition et un film retracent sa carrière.
Ils sont là, dans leurs plus beaux habits, avec leur plus belle coiffure. Ils sont jeunes, ils croient en l’avenir. Ils veulent une photo pour montrer qu’ils sont amoureux, qu’ils ont une nouvelle moto, que contrairement à ce que croient les Occidentaux, eux aussi portent des chaussures, des cravates, la dernière mode. Ils posent pour le photographe, lui font confiance, il les montrera sous leur plus beau jour; les immortalisera.
Son fameux studio photo se trouve toujours dans l’ancien et populaire quartier de Bagadadji, mais Malick Sidibé n’y vient presque plus. Ce sont ses fils qui s’en occupent. A 77 ans, le légendaire photographe malien a passé la main. Pour le rencontrer, il faut quitter le centre de Bamako, traverser le fleuve Niger et rejoindre le quartier de Daoudabougou, où il est rare qu’un Blanc vienne se perdre. Je suis guidé par Ibrahim, un des fils du photographe, qui finit par me faire passer une étroite porte menant à une grande cour pavée de ciment, où des femmes cuisinent sur des braseros en bavardant.
C’est là que me reçoit Malick Sidibé, assis sur une chaise, souriant, mais avec un regard qui parfois s’éloigne, comme s’il contemplait le passé avec plus d’intensité que le présent.
Les débuts. Tout a commencé en 1955, alors qu’il apprenait le dessin à l’école des artisans de Bamako. Un photographe français, Gérard Guillart, vient y chercher quelqu’un pour décorer le studio photo qu’il ouvre au centre ville. C’est ainsi que Malick, qui a 19 ans, sera engagé par Gégé la Pellicule, abandonnant le dessin pour la photo. «Je me suis dit que l’appareil photo était plus rapide que le pinceau. Avec le dessin, on travaille seul dans son atelier, alors que la photo, c’est beaucoup plus amusant, on voit les gens danser, on les voit vivre.»
En 1956, il achète son premier appareil, un solide Brownie Flash, et en 1962, deux ans après l’indépendance du Mali, il ouvre son studio à Bagadadji. Les jeunes de Bamako viennent notamment s’y faire photographier avant de partir pour des surprises-parties ou des mariages, soirées où les suit Malick Sidibé, sillonnant la ville toute la nuit sur sa bicyclette. A l’aube, il rentre développer ses photos pour que les gens puissent, en début de semaine, passer commande de celles qu’ils préfèrent. «C’était une époque vraiment très gaie. Tout le monde dansait, on oubliait tous les soucis. On disait: “On se fout de la mort”. Les gens dansaient, dansaient; parce qu’après ce monde très gai, il n’y a plus rien, c’est fini. Il faut profiter de la vie. Moi, je voulais être le témoin de ces soirées. Mais je ne dansais pas, j’étais un peu timide et je n’avais pas le temps: je photographiais. Les jeunes filles regardaient les garçons de haut en bas, et s’ils n’étaient pas bien habillés, elles ne décroisaient pas les bras, n’acceptaient pas de danser avec eux. Elles, elles mettaient des jupes serrées. Il fallait avoir une taille très fine, et certaines ne voulaient plus manger pour pouvoir entrer dans leur jupe. Pas question de mettre des boubous, il fallait s’habiller à l’européenne.»
Célèbre et primé. C’est une (petite) partie des portraits réalisés entre 1965 et 1976 que l’on peut voir aujourd’hui à Lausanne, dans le cadre du festival Cinémas d’Afrique (voir encadré). Loin des clichés habituels sur l’Afrique, ils sont à la fois émouvants et sociologiquement passionnants. C’est avec eux que Malick Sidibé est devenu célèbre dans le monde entier, qu’il a été le premier photographe africain à recevoir le prix Hasselblad, s’est vu récompensé par le Lion d’or lors de la 52e Biennale d’art contemporain de Venise en 2007.
Le soleil se couche sur Bamako; dans la cour de sa maison, le vieil homme se fait un peu nostalgique à l’évocation du Mali actuel: «Aujourd’hui, on s’amuse moins, on est moins gai.»
Les yeux de Malick Sidibé vont finir par s’éteindre définitivement. Mais ce qu’ils ont vu leur survivra longtemps; il voulait être un témoin, il y est parvenu. «Dans les soirées, j’étais surtout attentif aux regards des filles et des garçons qui dansaient, confie-t-il avant que la nuit ne nous enveloppe. La plupart du temps, j’y voyais du désir. C’est ce que je cherchais: le désir dans les yeux des gens quand ils se regardaient.» Le désir, la vie. La gaîté.
A voir: du 22 au 25 août a lieu, au Casino de Montbenon à Lausanne, le 8e festival Cinémas d’Afrique. Le samedi 24, à 16 h, on pourra y voir le documentaire «Studio Malick, un regard sur l’autre Afrique» (2009), de Youssouf Cissé. L’entrée à l’exposition des photographies de Malick Sidibé est libre. Pour tous renseignements: www.cine-afrique.ch