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Littérature: Max Gallo ressuscite Machiavel et Savonarole

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Jeudi, 5 Mars, 2015 - 05:58

Entretien. Le romancier et historien plonge dans la Florence des Médicis pour y analyser deux modalités de conquêt du pouvoir en pleine résonance avec nos guerres d’influence.

Et si les arcanes du pouvoir étaient toujours un peu les mêmes? C’est ce qui ressort à la lecture du dernier ouvrage de l’académicien Max Gallo, Machiavel et Savonarole – la glace et le feu. Une véritable plongée dans le siècle florentin, ses tensions et ses intrigues politiques, portée par la plume chatoyante de l’historien, grand adepte des biographies romancées.

Dirigée par les Médicis et les Borgia, Florence est alors au sommet de son rayonnement. Conquérir la ville, c’est dominer le monde, du moins l’Europe. C’est dans ce contexte fastueux que surgissent, à quelques années près, deux personnages qui vont chacun, pour un temps, régner sur la cité:

Nicolas Machiavel, redoutable stratège, et Jérôme Savonarole, prédicateur exalté. Toutes ressemblances avec notre époque seraient-elles purement fortuites? L’historien passe à la question.

Tout le monde a entendu parler de Machiavel, mais est-il vraiment tel qu’on se le représente ?

Je ne crois pas. A cause du secret qui l’entoure, il n’a pas toujours été compris. Machiavel, c’est avant tout un personnage discret. Présent, mais discret. Une sorte de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, dirait-on aujourd’hui.

C’est surtout un homme, un ancien secrétaire de la seigneurie, qui se sait en position de faiblesse et qui a compris que pour accéder au pouvoir, il fallait avant tout s’en approcher et le séduire tout en douceur.

Le terme «machiavélique» est pourtant souvent entendu de manière très péjorative…

Il est vrai. Mais, pour ma part, je crois avoir dressé un portrait ni négatif ni positif, mais conforme à la réalité. Mais, en effet, le «machiavélisme» est devenu une manière d’exprimer des procédés politiques et des ambitions qui sont marquées par une certaine critique…

Le personnage de Savonarole est beaucoup moins connu. Qui était-il ?

Savonarole, c’est un prédicateur fanatique. Un moine dominicain allié d’un orateur hors pair qui va séduire les foules avec ses prêches exaltés. C’est un personnage qui aspire au pouvoir, non pas pour l’exercer lui-même, mais parce qu’il pense que Florence est marquée par l’empreinte de Dieu et que ce peuple se doit d’être un peuple de Dieu.

C’est d’ailleurs lui qui va organiser le célèbre «Bûcher des vanités», selon l’expression de l’écrivain Tom Wolfe. Soit la destruction des parfums, boucles d’oreilles, jeux de cartes, tout ce qui éloigne de Dieu. Pour un temps, il va réussir à installer une véritable dictature théocratique, poussant les Médicis à l’exil.

Pourquoi avoir choisi de réunir ces deux hommes dans le même livre ?

Parce que je trouve tout à fait étonnant, voire scandaleux, que les historiens qui se sont intéressés à Florence semblent ne pas s’être rendu compte de cette coïncidence de ces deux personnages qui, à peu près à la même période et dans la même ville, cherchent à conquérir le pouvoir, et ce de manière radicalement opposée.

Que peut-on dire justement de leurs méthodes ?

La méthode de Machiavel, c’est d’être au service du pouvoir pour mieux l’influencer de l’intérieur. S’il joue un rôle important, il reste toujours au second plan. Dans l’ombre, cet ancien secrétaire de la seigneurie tisse des liens autour de lui, avançant toujours prudemment.

Dans son livre Le prince, qui va servir de modèle géopolitique à l’ensemble des souverains d’Europe, il l’exprime clairement: la meilleure manière de conquérir et conserver le pouvoir est d’allier à la «force du lion» la «ruse du renard», soit l’analyse et le calcul.

Machiavel serait-il finalement l’ancêtre de la caste des conseillers en communication ?

Oui, tout à fait. Mais je pourrais dire la même chose de Savonarole. Lui va, pour sa part, utiliser la communication de masse pour convaincre et prendre le pouvoir. Plus que simple prédicateur, il endossera un rôle messianique, celui du prophète qui fait lui-même vœu de pauvreté pour appeler à l’égalité entre les êtres.

La figure du prophète et celle du conseiller de l’ombre ne coexistent-elles pas également de la même manière aujourd’hui ?

C’est ce qui m’a aussi incité à écrire ce livre. Car, aujourd’hui, en effet, on voit ressortir avec les terroristes et les fanatiques des visions qui font penser à celle de Savonarole. Songez que Savonarole a militarisé les enfants, en leur donnant un uniforme et en les faisant marcher au pas! Il s’est servi des enfants pour perquisitionner, pour influencer, pour apeurer.

Vous faites donc un lien très clair avec certains fondamentalismes actuels ?

L’anachronisme est toujours un piège pour l’historien. Parce qu’il fait prendre le passé pour le présent et vice versa. Je ne crois pas qu’il faut identifier Savonarole avec ce qui se passe aujourd’hui. En même temps, c’est vrai qu’on aperçoit une aspiration similaire à une religion fanatique.

Qu’est-ce qui différencie cependant nos guerres d’influence modernes de celles du siècle florentin ?

Ce serait une longue dissertation que je ne vais pas vous faire. Car les guerres de communication modernes utilisent des procédés classiques, c’est-à-dire les discours, les images et, en même temps, elles sont portées par des techniques de communication qui n’existaient pas et existent aujourd’hui. Vous ne pouvez pas comparer le siècle de la télévision à celui du XVe siècle.

Ce livre est tout entier centré sur la question du pouvoir, de la quête d’influence: qu’aviez-vous envie de dire à ce sujet ?

Que le pouvoir est un des grands mobiles de l’homme. Et que ces deux modalités de tentation du pouvoir restent encore bien vivantes aujourd’hui.

Savonarole finira sur le bûcher, tandis que l’œuvre de Machiavel fera le tour du monde. Est-ce à dire qu’en matière de politique, le cynisme est plus efficace que la ferveur ?

C’est une belle question, mais je ne vais pas répondre hors contexte. C’est-à-dire que je crois qu’il faut d’abord analyser ce qu’on entend par cynisme. Le cynisme de Machiavel est aussi lucidité.

Mais, aujourd’hui, diriez-vous que le danger est plutôt du côté du cynisme ou de la ferveur ?

Tout ce qui met en cause la vie de l’homme est dangereux. Or, nous sommes vraiment à une période où la vie de l’homme est en danger. 

 


«Machiavel et Savonarole – La glace et le feu»
De Max Gallo. XO Editions, 368 p.

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