«Ms. Jones va vous recevoir», c’est le titre de la nouvelle. Elle parle d’un homme qui a rêvé toute sa vie de s’agenouiller devant une dominatrice mais a tardé à faire le pas. Sa femme, amoureusement, l’y a aidé: pour ses 55 ans, elle lui a offert un rendez-vous chez Ms. Jones.
Là, il y est: «Elle doit avoir mon âge, mais elle semble tellement plus mature. Elle n’est pas comme ces jeunettes qui semblent jouer à dominer (…) elle est impériale et respire le pouvoir par tous ses pores.»
Ms. Jones a un autre avantage: elle sait que la station prolongée à quatre pattes au bout d’une laisse ne pardonne pas en cas d’arthrite. Elle a donc fait confectionner pour son esclave de moelleux protège-genoux. Entre gens d’expérience, on se comprend.
Quand je pense. Dans les rédactions, toutes ces années, on s’est pris la tête pour savoir comment aborder ce qu’on appelait, avec des mots d’assistante sociale, «la sexualité des personnes âgées». Une réalité qui ne peut plus être ignorée, reconnaissions-nous gravement. Mais un thème limite dégueu, et réputé pas très «vendeur».
Pas vendeur. Quand je pense. Joan Price, 68 ans, maîtresse d’ouvrage d’Ageless Erotica, le recueil contenant la nouvelle susmentionnée, est une des pouliches les plus prometteuses de la rentrée littéraire états-unienne.
Non, pas la rentrée littéraire littéraire, dont il est question plus loin. Je parle de l’autre, celle des coups fumants à la Fifty shades. Sur ce front-là prospère actuellement le «sex-seller» pour ménagère d’âge indéterminé, le plus souvent d’ailleurs écrit par d’alertes mamies comme Desiree Holt: elle a débuté à 70 ans. Joan Price ose le pas de plus: le soft porno dont le héros est un sénior.
Foin d’érections granitiques, de slips humides et d’orgasmes instantanés, plaide cette pasionaria de la baise poivre et sel. Le cerveau est le premier organe sexuel et le mien réclame des histoires qui reflètent mon expérience. Ageless Erotica célèbre la dévotion orale infinie du vieil amant (82 ans, Alzheimer), la sensualité d’une ride bien placée au coin des lèvres, la cuisine médico-érotique d’un vieux couple gay atteint de HIV. Ses auteurs (50 ans minimum) sont des enfants de la révolution sexuelle. Ils n’allaient pas nous la jouer fleur bleue hétéro effarouchée.
Que les salaces tourtereaux à la retraite ne passent plus pour de vieux dégoûtants, c’est réjouissant. Il y a juste un truc qui me gêne dans la tonalité des propos de Joan Price. Une certaine agressivité envers ses cadets quand elle essaie de faire passer le «jeunisme sexuel» pour le comble de la ringardise. Et un certain déni de réalité lorsqu’elle devient, par la grâce d’un glissement lexical bien connu des publicitaires, l’avocate d’une sexualité «sans âge».
Si j’avais 20 ans, je le prendrais mal. J’en aurais marre de voir ces baby-boomers déjà tout-puissants s’acharner à vouloir rester prescripteurs sur tous les fronts, y compris la galipette.
Mais je n’ai plus tout à fait 20 ans. Quand je pense: le temps passe.