Le violoncelle, équivalent de la voix humaine, est capable de s’exprimer sans le recours aux mots. Instrument de l’intime, et associé au piano comme à un véritable partenaire, il est au cœur d’un répertoire de sonates dont Mattia Zappa, magnifique interprète tessinois, révèle des pans troublants, ceux de la période durant laquelle Chostakovitch, en 1934 sous le regard de Staline, puis Prokofiev, au sortir de la guerre, entament un «dialogue mélancolique avec la tradition».
Les règles des bonnes manières mélodiques sont en effet préservées. Pas d’ironie ni de cynisme dans les thèmes et leurs développements, contrairement à ce qui se jouait entre les portées des symphonies, celles de Chostakovitch notamment.
Mais une intensité expressive énorme, cognant, martelant avec une tension rentrée et forcenée les limites du jeu autorisé ou, au contraire, explorant une désespérance aussi digne qu’obsédante. Comme si les arabesques virtuoses des instruments se prolongeaient de l’autre côté de la partition et de l’écoute, à la recherche d’une issue parfaitement connue mais gardée secrète.
La sonate d’Alfred Schnittke, composée pour Natalia Gutman en 1978, porte en elle un autre parcours, au-delà du sérialisme que le compositeur a adapté à ses besoins. L’œuvre explore les mêmes territoires, mais les éclate et les dresse à la verticale: les libertés stylistiques permettent à l’instrument de se frayer un chemin plus frondeur, rude et passionnant. Les interprètes servent ces sonates avec un engagement et une précision de scalpel. Un enregistrement à la fois maîtrisé et fiévreux.
«Sonates pour violoncelle et piano de la Russie soviétique. Serge Prokofiev, Dimitri Chostakovitch et Alfred Schnittke». Par Mattia Zappa, violoncelle, et Massimiliano Mainolfi, piano. CD Claves.