Folk. L’Israélien enchante sur un cinquième enregistrement aux influences multiples. «Gold Shadow», qui fait oublier le décevant «Different Pulses» de 2012, est son meilleur album.
L’album s’appelait «The Reckoning» et nous était arrivé il y a tout juste cinq ans. Asaf Avidan & The Mojos, mentionnait l’intrigante pochette. On apprenait alors que cet enregistrement datait de 2008 et que, à la suite de son énorme succès en Israël, d’où est originaire le groupe, il bénéficiait enfin d’une distribution internationale. On ne savait alors rien de cet Asaf Avidan, né en 1980 à Jérusalem, ni de ses Mojos. Et rien ne nous préparait à un tel choc.
Asaf Avidan, c’est d’abord un physique. Un grand gaillard d’un peu plus d’un mètre nonante à la coupe à l’iroquois et qui aime les débardeurs lui permettant d’exposer ses tatouages. Et c’est ensuite, plus saisissant encore, une voix sortie d’on ne sait trop où. On a beaucoup dit qu’on y retrouvait les aigus d’une Janis Joplin, mais il y a aussi quelque chose du Bowie période glam dans cette façon de théâtraliser les mots, de les moduler pour qu’ils fassent corps avec la musique. Le chanteur avoue quant à lui beaucoup écouter Nina Simone, Billie Holiday et, dans une tessiture en opposition totale avec la sienne, Tom Waits. Impossible en tous les cas de l’écouter sans être profondément secoué par l’intense sentiment de découvrir un artiste ne ressemblant à rien de connu – et dans cette catégorie, celle des Björk et Antony Hegarty, ils sont bien peu.
Ce remix qu’il ne voulait pas
Musicalement, l’Israélien évoque un troubadour folk qui aurait passé beaucoup de temps du côté du delta du Mississippi, berceau du blues. Lorsque, dans les premiers jours de 2010, on écoutait son premier enregistrement, on était tout de suite happé par Reckoning Song, bouleversante ballade piano-voix évoquant une rupture. Car il y a dans cette mélodie une simplicité universelle, une mise à nu totale. C’est d’ailleurs ce titre qui le verra quitter les petits clubs pour se frotter à de plus grandes scènes et des foules hurlantes. Mais dans une version remixée dont il avait paradoxalement voulu empêcher la sortie.
Lorsque, en 2012, le DJ allemand Wankelmut lui envoie une version dance de Reckoning Song qu’il a postée sur YouTube, le musicien lui demande de la retirer. Il apprécie qu’on s’intéresse à sa musique au point de la revisiter, mais estime, et il n’a pas tort, que la pureté de sa mélodie est en quelque sorte dénaturée. Mais voilà, Wankelmut n’obtempère pas et la vidéo devient virale. Sur conseil de sa maison de disques, Asaf Avidan se résout finalement à officialiser cette version électro… qui devient numéro un des ventes dans quatorze pays. Les craintes du chanteur s’estompent vite: le public qui vient le voir sur scène n’est pas là dans l’espoir de se trémousser sur ce remix. Il a depuis remercié Wankelmut pour lui avoir permis de gagner en visibilité, tout en avouant ne pas avoir changé d’avis sur le fond: il n’aime pas sa relecture.
On est alors en 2012 et, après trois albums enregistrés aux côtés des Mojos, Asaf Avidan vient de sortir un album solo, Different Pulses. Sa voix est certes toujours aussi ahurissante, mais il y a dans ses nouvelles compositions quelque chose de plus urbain, des harmonies plus diffuses, aussi, qui nous laissent par moments perplexes. Autant dire qu’on attendait Gold Shadow, son cinquième album, le deuxième sans le groupe de ses débuts, avec une certaine appréhension.
De dylan à cohen
Dès les premiers accords du titre d’ouverture, Over My Head, on est soulagé de retrouver l’Asaf Avidan qu’on aime, celui qui puise son inspiration aux sources du blues et qui, dans sa manière d’aborder le folk, a l’insouciance du jeune Dylan des sixties. Le trentenaire ne cache d’ailleurs pas ses influences. Sur Little Parcels of an Endless Time, c’est Bob Marley, si si, qu’il semble citer, tandis que The Labyrinth Song ressemble tellement à du Leonard Cohen qu’on croit d’abord à une reprise d’un inédit du ténébreux Canadien. Et que dire de ce My Tunnels Are Long and Dark These Days, ballade décadente à la Kurt Weill, ou du blues-rock très White Stripes de The Jail That Sets You Free, si ce n’est qu’on est ébouriffé par la manière dont il brouille les pistes? Fils de diplomate, Asaf Avidan a passé une bonne partie de son enfance à voyager, et cela s’entend.
Sur la chanson-titre de ce sinueux et très bluesy Gold Shadow, le chanteur évoque la beauté d’Adam et Eve, parle d’une femme sur un bateau tandis qu’un homme est resté à quai. Une chanson de rupture, encore. On ne sait pas si, à l’époque de Different Pulses, il était en couple et heureux, mais le spleen amoureux lui va si bien qu’un peu égoïstement, on remercie celles qui ont largué les amarres sans lui. Lorsqu’il chante la séparation, il y a dans sa voix une bouleversante fêlure qu’on souhaiterait éternelle.
«Gold Shadow». D’Asaf Avidan. Polydor/Universal. En concert le 28 mars à Lausanne (Les Docks).
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