Striptease. C’est la vedette du premier Geneva Burlesque Festival ce week-end. Dotée de superpouvoirs de séduction, Lada «étoile rouge» porte haut l’esprit d’un mouvement qui explose les normes.
On l’appelle «la pin-up venue du froid»:ça fait midinette gentillette, c’est à côté de la plaque. On dit que le burlesque, cet art de la scène dont elle est une des têtes d’affiche internationales, ressuscite, en revisitant l’effeuillage, le bon vieil érotisme de papa. C’est vrai, mais insuffisant pour dire l’énergie séditieuse charriée par ce mouvement incorrect, paradoxal, ironique, excessif et protéiforme qui conquiert, depuis une quinzaine d’années, les sous-sols nocturnes des villes du monde. Et qui tient ce week-end son premier festival international sur sol genevois (lire encadré en page 52).
Lada Redstar s’est produite partout, de la Chine à la Nouvelle-Zélande en passant par la Grèce. Il n’y a guère que l’Afrique et la péninsule Arabique qui soient pour le moment épargnées par la vague burlesque: «Mais les cheiks milliardaires commandent des shows privés dans leurs résidences secondaires aux Seychelles, ces hypocrites!»
Lada Redstar parle cash, d’une voix voluptueusement rauque. Elle a une bouche en loukoum grenat, une peau de velours, des seins atomiques, une chute de reins orgiaque enserrée, ce jour-là, dans une robe en dentelle vert tisane. Assise bien droite dans un café genevois, coiffée et maquillée avec une précision implacable, elle dit, citant sa maman, traductrice du turc et de l’arabe: «Le corps est la plus grande arme de la femme.»
Lada Redstar évoque son premier modèle féminin, avant Rita Hayworth: Stana, sa grand-mère yougoslave, une blonde au déhanché fatal qui s’est battue sous Tito dans la résistance contre les Allemands. Ce qu’elle lui a appris: «La force intérieure de ne jamais se laisser aller, ni au physique ni au moral.» Lada Redstar est une femme puissante.
Guerrière de la féminité
C’est ce qu’il y a de plus difficile à intégrer quand on aborde l’univers du burlesque: les «performeuses» ne ressemblent pas toutes à Lada, loin de là: de la diablesse trash à la lapinette bonbon en passant par la Vénus kitscho-callipyge, il y a vraiment tous les formats sur une scène qui prend plaisir à exploser normes et modèles. Mais les nouvelles reines du strip-tease ont ceci en commun: elles se revendiquent féministes.
C’est le cas de Lilly Bulle, l’une des deux productrices du festival genevois. Une jolie brune au format délicat, par ailleurs psychologue et mère de famille dans le Nord vaudois, mariée à un type extra qui fait la vaisselle: «Nous vivons, remarque-t-elle, dans une société qui dit aux femmes à la fois «Affirmez-vous!» et «Ne soyez pas trop féminines!» Pour moi, c’est une injonction contradictoire.» Lilly, comme Lada, dirige des ateliers. Toutes deux racontent qu’une bonne partie de leurs clientes viennent y puiser un «courage» qui leur fait défaut: celui de mettre une jupe. A y bien réfléchir, les plus formatées ne sont pas nécessairement celles qu’on croit.
La preuve que les supernanas du burlesque narguent le cliché de la femme objet: elles suscitent dans la population masculine une réaction pour le moins contrastée. Sur scène, elles sont ultramajoritaires par rapport aux performeurs masculins. Mais leur public est composé à 80% de femmes. «Ça ne m’étonne pas, je peux faire peur…», glousse Lada dans un sourire carnivore.
Merde au chic parisien
Née à Sarajevo, arrachée à 8 ans à ses conforts par la guerre et l’exil, Lada Tvrtkovic a d’abord vécu à Bologne. Puis, dans le sillage d’un premier «homme aux yeux bleus», à Paris, où elle s’est diplômée en archéologie à la Sorbonne.
Mais la Sorbonne «n’est pas à la hauteur de sa réputation» et Lada Redstar n’aime pas Paris: «Ce qui manque, c’est le sourire, le plaisir de faire l’amour à sa propre vie. Les Parisiens le comprendront sur leur lit de mort, mais entre-temps, ils veulent être chics et pour cela, ils se croient obligés de faire la gueule.»
Lada préfère Berlin, où la scène burlesque est florissante et où elle a élu domicile dans un appartement de Kreuzberg transformé en bonbonnière: «Berlin est une ville libre, où tout le monde est artiste et où l’on trouve encore des loyers à 200 euros. C’est la seule capitale qui échappe au consumérisme.»
Où l’on comprend que le burlesque et son penchant pour le «vintage», c’est aussi une manière d’échapper aux injonctions de la mode. Lada Redstar ne lit pas les magazines féminins et considère qu’au rayon beauté des négoces il y a «95% de produits bons pour la poubelle». Elle se revendique «coquette» mais «pas égocentrique» et déteste les «petites vies» satisfaites et indifférentes à ce qui les entoure. Elle vote à gauche, en Italie, parce que en Bosnie, le système électoral l’obligerait à choisir le carcan d’une ethnie. Mais elle retourne régulièrement à Sarajevo, où elle a ouvert, en 2010, un atelier de fabrication de cache-tétons qui a fait un tabac, et des émules. Le burlesque balkanique est lancé.
«No limits»
Dans «burlesque», il y a «burla», comme «farce» en italien, explique notre star polyglotte, très documentée sur l’histoire du mouvement: «Dès le début, avec le cancan parisien et les premières effeuilleuses, le sexe sur scène a utilisé l’humour pour jouer à cache-cache avec la censure.»
Il y a eu ensuite les Ziegfeld Follies et l’âge d’or des années 50, puis le déclin «avec la montée du porno». Et, depuis le milieu des années 90, le «New Burlesque», surgi, plus subversif que jamais, des profondeurs de la communauté queer et freak aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le peuple du burlesque s’est diversifié et, sur les scènes chics comme le Balajo à Paris, il offre volontiers son visage le plus raffiné. Mais il reste un immense espace de liberté qui se plaît à franchir toutes les lignes rouges: celle de la minceur standard des corps, de la frontière des genres, du bon goût et, last but not least, celle de l’âge. Oui, le strip-tease du troisième âge, ça existe, ça se passe à Las Vegas dans le cadre du Burlesque Hall of Fame, où se produisent des «légendes» de l’effeuillage plus que septuagénaires comme Val Valentine.
Lada Redstar, qui a remporté le premier prix de cette grand-messe américaine en 2013, est émue aux larmes en évoquant ses aînées: «Si vous saviez combien elles m’inspirent! J’espère qu’un jour je serai comme elles, vieille, folle et épanouie! Qu’on ne m’aura jamais!»
Geneva Burlesque festival, première!
Les artistes de la scène internationale ont répondu en nombre à l’appel des organisatrices du Geneva Burlesque Festival, qui s’annonce comme le premier événement de cette ampleur en Suisse. Vendredi 30 est consacré à deux concours, l’un couronnant la «reine» du festival, l’autre le meilleur talent émergent. Une seule performeuse suisse, Ivy Hipsylon, a passé l’étape de sélection. Samedi 31, soirée de gala avec douze artistes aguerris. En vedette: Lada Redstar. En maître de cérémonie: Charly Voodoo. Mais aussi: Eliza Delite, Louise de Ville, Scarlett Martini...
En journée: marché «rétro-vintage» et workshops avec les pros de passage. Le tout se déroule dans le décor 1900 du Théâtre de la Madeleine.
www.genevaburlesquefestival.com
Genève, Théâtre de la Madeleine, rue de la Madeleine 10. 30 et 31 janvier.






