Eclairage. Tandis qu’«Une merveilleuse histoire du temps» raconte la trajectoire du physicien Stephen Hawking, «The Imitation Game» se penche sur le mathématicien Alan Turing. Et il est mieux réussi.
Ils sont tous deux Anglais et scientifiquesémérites. Nés à trente ans d’écart, à Londres et à Oxford, Alan Turing et Stephen Hawking ont marqué leur époque. Le premier en mettant au point, durant la Seconde Guerre, une machine capable de déchiffrer le code de cryptage Enigma mis au point par les nazis. Le second en dépoussiérant la cosmologie et l’étude des trous noirs à travers un best-seller de vulgarisation publié en 1988, Une brève histoire du temps. Si Turing est aujourd’hui quelque peu oublié alors qu’il a en partie contribué à la victoire alliée, Hawking s’est fait connaître du grand public pour autre chose que ses seuls écrits: atteint d’une sclérose latérale amyotrophique, il ne peut plus bouger et ne communique que via la voix synthétique d’un ordinateur qu’il dirige avec ses yeux.
Par un heureux hasard, Turing et Hawking sont, en ce début d’année, les héros de deux biopics, The Imitation Game et Une merveilleuse histoire. L’occasion de se pencher sur la meilleure manière d’aborder un film biographique, l’un des genres les plus en vue du moment. En effet, comme on peut aisément l’imaginer, rien ne ressemble moins à un biopic qu’un autre biopic.
Observons d’abord les séquences d’ouverture des deux films. Une merveilleuse histoire du temps nous montre deux jeunes hommes à vélo. On est sur le campus de Cambridge en 1963. Hawking a 21 ans et l’insouciance de sa jeunesse. L’image est surexposée et permet dès la scène suivante de passer du jaune au bleu dans un enchaînement chromatique des plus banals, tandis qu’une musique outrancièrement lyrique souligne, en présupposant que le spectateur moyen connaît la maladie qui clouera bientôt Hawking dans un fauteuil roulant, que ce temps de l’innocence ne durera pas. On renifle déjà, en quelques secondes, une propension à la surdramatisation qui ne dit rien de bon pour la suite.
A l’inverse, The Imitation Game s’ouvre sur une scène de chaos. Huit ans après la fin de la guerre, l’appartement de Turing, qui vit désormais à Manchester, a été cambriolé. L’inspecteur chargé de l’enquête devine que cet homme assurant que rien ne lui a été dérobé lui dissimule quelque chose. Le film captive d’emblée parce qu’il déploie sa narration à partir d’un autre présupposé: le spectateur moyen ne sait rien de Turing, dont les recherches restèrent d’ailleurs longtemps classées secret-défense.
Triple temporalité
La suite nous donnera raison. Restons tout d’abord dans la mise en scène. Du côté d’Une merveilleuse histoire, on parie tout sur une esthétique toc: quelle horreur que ces images tremblantes en sépia pour évoquer les super-8 d’antan, sans parler de cette caméra qui tournoie au-dessus d’un pont illuminé au moment du premier baiser entre Hawking et celle qui deviendra sa femme. Le réalisateur James Marsh joue la carte de l’image lénifiante, comme pour adoucir l’aridité des théories de Hawking et la violence de sa maladie.
Pas de ça chez son confrère norvégien Morten Tyldum, dont la mise en scène ne cherche jamais l’épate, mais se demande constamment comment évoquer au mieux ce génie tourmenté qu’était Turing. D’où cette idée: alors qu’Une merveilleuse histoire du temps déroule son récit de manière chronologique, The Imitation Game superpose trois temporalités – la guerre, l’après-guerre et l’enfance. Un moyen de nous permettre d’appréhender la personnalité du mathématicien sans jamais jouer sur la psychologie facile.
La révélation dans le café
Comment évoquer les théories de Hawking? Sur cette question, Marsh semble bien emprunté et, même si son film est avant tout centré sur une intrigue domestique et un triangle amoureux résumé au cours d’un piètre montage parallèle (le scientifique s’écroule durant un opéra de Wagner tandis que son épouse campe avec un homme qui ne parvient guère à cacher ses sentiments pour elle), tente avec force maladresse de montrer comment une idée peut surgir. En observant un nuage de lait tournoyant dans sa tasse de café, Hawking se dit que, tiens donc, et si l’univers avait été créé par l’explosion d’un trou noir? Plus tard, c’est à travers les mailles d’un pull-over, devant un feu de cheminée, qu’il échafaudera l’idée que le temps aurait un commencement. Pareils raccourcis, avec en arrière-fond l’intuition que la cosmologie est trop complexe pour une production à visée populaire, nuisent au film. Tyldum n’hésite pas, lui, à décrire minutieusement le fonctionnement de la machine inventée par Turing.
Un mot, enfin, sur les acteurs. Eddie Redmayne, qui se contorsionne et grimace très bien, est dans la pure performance. Il joue Hawking. Alors que Benedict Cumberbatch parvient à se faire oublier. Il est Turing. Signalons pour l’anecdote qu’en 2004, tout aussi inspiré, il avait tenu le rôle-titre d’un téléfilm intitulé… Hawking.
«Une merveilleuse histoire du temps». De James Marsh. Avec Eddie Redmayne et Felicity Jones. GB, 2 h 03. En salle
«The Imitation Game». De Morten Tyldum. Avec Benedict Cumberbatch et Keira Knightley. USA/GB, 1 h 55. Sortie le 28 janvier.