Exposition. La question tombe bien à l’heure où la Ville de Genève voudrait, la courageuse, dédier un monument à la mémoire très discutée du génocide arménien: comment a évolué ces dernières décennies l’art difficile du mémorial? Au Bâtiment d’art contemporain, dans l’annexe ingrate consacrée aux expositions temporaires, un groupe de chercheurs montre diverses tentatives de remettre en question le vieux genre des mémoriaux des guerres, massacres, attentats et autres cruautés de l’histoire. Ce travail collectif est issu d’une recherche transdisciplinaire menée dans un programme de master à la Haute école d’art et de design. Attention, il s’agit d’une exposition aride, qui ne se donne pas facilement. Ponctuée de nombreux textes explicatifs, elle propose surtout des documents, des vidéos, des plans, des maquettes, mais peu d’œuvres en tant que telles. Il n’empêche qu’une fois entré dans la réflexion, mise en scène avec rigueur, l’exposition se révèle passionnante.
Au-delà du monument constate combien, au cours du siècle dernier, l’œuvre de mémoire s’est déplacée de la valorisation du vainqueur à celle de la victime d’un crime de masse. Le genre, longtemps normalisé et sous la coupe de l’officialité, a quitté son hiératisme de pierre pour l’œuvre reproductible, l’installation, le land art, la vidéo, la photo, le texte, le site internet, la manifestation, le débat. Dans leur remise en question de la pesante forme du mémorial, des artistes l’allègent en même temps qu’ils approfondissent son sens. Comme Fernando Sánchez Castillo qui construit un anti-monument au franquisme en dépeçant l’ancien yacht du sinistre Caudillo. Ou Khaled Jarrar qui unit le béton du mur entre Israël et la Cisjordanie au tronc d’un olivier. Ou encore Jonathan Horowitz qui propose d’élever chez soi, contre un mur, deux petites tours jumelles en souvenir du 11 septembre avec des journaux ainsi recyclés.
Sans doute aurait-il été bien que cette réflexion critique soit elle-même un rien critique sur les différentes stratégies artistiques abordées. Comme celles du grand manipulateur Alfredo Jaar, expert dans la diabolisation des médias, forcément vus comme cyniques et sans mémoire. Mais peu importe, le travail accompli ici est remarquable.
«Au-delà du monument», BAC. Jusqu’au 15 février.