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Quand deux charlots décident de déterrer Chaplin

Jeudi, 8 Janvier, 2015 - 05:58

Eclairage. Dans «La rançon de la gloire», le cinéaste Xavier Beauvois raconte le vol, en 1978, du cercueil de Charles Chaplin. Retour sur une affaire qui avait eu un retentissement planétaire.

Stéphane Gobbo

Cimetière de Corsier, 1er mars 1978. Il est 22 heures lorsque deux hommes s’approchent d’une tombe, équipés de pelles dérobées sur un chantier. L’un est Polonais, l’autre Bulgare. Tous deux vivent à Lausanne. Les voilà qui se mettent à creuser. Peu après minuit, alors qu’une pluie incessante a rendu la terre lourde, ils aperçoivent enfin l’objet de leurs convoitises. Un cercueil. Celui de Charles Chaplin, décédé le 25 décembre 1977 et inhumé deux jours plus tard. Inspirée d’un fait divers venant d’avoir lieu en Italie, leur idée est toute simple: dérober la dernière demeure de l’Anglais et la rendre à la famille contre versement d’une rançon.

Après avoir hésité à simplement l’enterrer plus profondément, les deux complices chargent le cercueil sur une voiture et partent pour Noville, près de Villeneuve, où ils se remettent à creuser. Et voici que Chaplin se retrouve enterré une seconde fois. Dans un champ de maïs. Le Polonais, qui est l’instigateur de ce rapt peu banal, prend alors les choses en main et, dès les jours suivants, téléphone au Manoir de Ban, où réside Oona Chaplin, la quatrième et dernière épouse de celui dont la mort a ému le monde entier. Epaulée par son avocat, qui tentera à plusieurs reprises de raisonner les ravisseurs, la veuve pourra compter sur l’aide de la police pour ne pas céder, jusqu’à ce qu’une erreur fatale précipite l’arrestation du cerveau de l’affaire, qui ne tardera pas à dénoncer son complice, resté jusque-là dans l’ombre. Cette affaire hors norme, Xavier Beauvois la retrace de manière libre et personnelle dans La rançon de la gloire, un film tourné à Vevey et environs entre mars et mai 2013.

«J’ai commencé par tout vouloir savoir de cette histoire, afin de pouvoir ensuite mieux m’en éloigner, confie le cinéaste. Car je pars du principe que les histoires, on s’en fout. Depuis les tragédies grecques, tout a été inventé. Ce qui est intéressant, ce n’est pas l’histoire en elle-même, mais la façon dont vous la racontez.»

Pression médiatique

Lorsque, en 2009, peu avant qu’il entame le tournage de Des hommes et des dieux, le Français se met à réfléchir à la possibilité d’un film, il se tourne vers la Police de sûreté vaudoise. Laquelle propose à Daniel Delaplace, commissaire retraité, de le rencontrer. Jeune inspecteur au moment des faits, l’ancien limier se replonge alors dans le dossier d’enquête en compagnie de Beauvois et de son épouse, la monteuse Marie-Julie Maille. «Il m’a tout de suite dit qu’il souhaitait réaliser une fiction et non un documentaire, que son but était avant tout de rendre hommage à Chaplin, se rappelle le Vaudois. J’ai mis à sa disposition le plus d’éléments possible, tout en lui donnant d’autres contacts. Mais avec comme règle de ne rien dévoiler qui n’ait pas été rendu public lors du procès.» L’ancien commissaire, qui reverra le réalisateur au début de 2013 puis en décembre dernier à l’occasion de la première veveysanne du film, se dit impressionné par sa sensibilité, son humanisme et son intelligence. «Et on sent que c’est quelqu’un qui aime les flics», souligne-t-il en avouant avoir beaucoup apprécié son polar Le petit lieutenant, sorti voici bientôt dix ans.

De l’affaire du cercueil, Daniel Delaplace se souvient surtout de l’impact international qu’elle a eu et de la grande pression médiatique qu’a subie l’inspecteur en charge de l’enquête, Jean Paccaud, aujourd’hui décédé. Journaliste et auteur de romans policiers, Michel Bory avait un temps imaginé s’emparer de ce fait divers pour en réaliser une fiction. Il a pour ce faire rencontré à de nombreuses reprises Jean Paccaud, qui est devenu l’un des modèles de son commissaire Perrin, héros de onze aventures entre 1995 et 2013. «C’était un superflic ayant élucidé de gros dossiers, comme celui d’un double assassinat au Maroc, perpétré par deux frères, explique-t-il. Dans l’affaire du cercueil, il est allé jusqu’à prendre ses quartiers au Manoir de Ban pour jouer le rôle du chauffeur de madame Chaplin. Il m’a fait lire ses rapports, mais je n’ai finalement pas utilisé ce qu’il m’a raconté. J’ai par contre toujours pensé qu’il y avait là de quoi faire un film.»

Amour des siens

Au petit jeu des comparaisons entre la vraie histoire et celle que raconte Beauvois dans La rançon de la gloire, et qui prend des allures de conte de Noël, Daniel Delaplace relève surtout que les vrais malfaiteurs étaient autrement moins sympathiques que ceux que campent avec truculence Roschdy Zem et Benoît Poelvoorde. Condamnés pour extorsion manquée et atteinte à la paix des morts à quatre ans et demi de réclusion pour l’un, et dix-huit mois avec sursis pour l’autre, les ravisseurs n’étaient motivés que par l’appât du gain et n’avaient pas hésité à menacer ouvertement le cadet d’Oona et Charles Chaplin.

Au cours d’un des nombreux appels passés d’une cabine publique, le Polonais dira explicitement à l’avocat d’Oona Chaplin qu’une carabine est capable de toucher une cible à 400 mètres et qu’aucun garde du corps ne pourrait protéger le fils de sa cliente d’un tir de précision. «C’est une véritable psychose de peur qui régna pendant quelques jours au Manoir de Ban», peut-on lire dans le jugement rendu en décembre 1978, ce que ne suggère pas le film de Beauvois. Car le cinéaste préfère se concentrer sur les ravisseurs, qu’il présente comme des charlots rêveurs et naïfs, donc pas véritablement dangereux. Le Français a en revanche tenu à être le plus précis possible lorsqu’il s’est agi de montrer les enquêteurs au travail. Comment menotter un prévenu, comment reconstituer au mieux un bureau de la sûreté vaudoise, autant de détails qu’il n’a pas laissés au hasard, allant jusqu’à intégrer à son casting de vrais policiers. Daniel Delaplace a refusé, mais un de ses collègues, encore en activité, s’est prêté au jeu, prodiguant durant six jours de tournage de précieux conseils, tout en incarnant un inspecteur.

Si l’échec de cette tentative d’extorsion est à mettre au crédit de la police, elle s’explique aussi par le fait que la famille Chaplin considérait que sa dépouille était moins importante que le souvenir de l’amour qu’il portait aux siens. Ce que Beauvois transcende lors d’un beau final qui verra un des malfrats repentis remercier, devant son cercueil, le maître.


Critique des hommes et un dieu

Si Xavier Beauvois, cinéaste rare et précieux (six films en près de vingt-cinq ans de carrière), a décidé de raconter le vol du cercueil de Charles Chaplin, ce n’est pas dans l’optique de réaliser un épisode de Faites entrer l’accusé. Ce qui l’intéresse ici, au-delà de la disparition de celui qui était alors le mort le plus célèbre du monde, c’est de rendre hommage au génie qui, il y a à peine plus d’un siècle, créait Charlot le petit vagabond.

A travers la figure tragicomique d’Eddy, un margoulin au grand cœur qu’incarne un Benoît Poelvoorde jamais autant à l’aise que quand il peut passer de la comédie au drame, le Français célèbre le Chaplin des Feux de la rampe – ce clown triste, usé, qui malgré l’adversité va devoir une dernière fois entrer en piste. Ce qu’il fait de manière littérale dans la dernière partie du film, lorsque l’irruption d’un cirque relance son récit.

Beauvois ne juge pas ses personnages. Au contraire, il essaie de les comprendre. Comme il tentait dans Des hommes et des dieux de saisir pourquoi les moines de Tibhirine, se sachant menacés, étaient restés en Algérie, il se demande comment deux paumés en arrivent à kidnapper un cadavre. «Mon père a toujours mis en scène sa vie», fait-il dire à Géraldine Chaplin. Il ne sera d’ailleurs question que de cela, que de mise en scène. Comment transcender un fait divers glauque pour en faire un conte, comment célébrer la magie du cinéma en filmant deux hommes sans charisme. Ce qu’il parvient à faire à l’aide d’une bande originale romanesque signée Michel Legrand, et à travers de très belles idées, comme cette cabane délabrée rappelant celle de La ruée vers l’or. On l’a dit, Beauvois est précieux.

«La rançon de la gloire». De Xavier Beauvois. Avec Benoît Poelvoorde, Roschdy Zem et Chiara Mastroianni. France/Suisse/Belgique, 1 h 54.

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Sedrik Nemeth
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