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«Exodus», la barbarie à notre image

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Jeudi, 8 Janvier, 2015 - 05:57

Analyse. L’enfer est pavé de bonnes intentions. La preuve par «Exodus», le film de Ridley Scott qui fait pour Marcela Iacub la promotion vertueuse de la guerre contre l’islam.

Marcela Iacub

Le pire danger que l’on court lorsqu’on combat un ennemi barbare c’est de finir par lui ressembler. C’est de perdre dans la guerre les règles qui nous différencient de lui. Les mesures épouvantables prises aux Etats-Unis contre des intellectuels, des artistes et des journalistes après la Seconde Guerre mondiale au nom de la lutte contre le communisme sont un exemple paradigmatique d’un tel écueil. Et que dire de la justification de la torture au nom de la lutte contre l’islam que certains films hollywoodiens ont honteusement saluée?

Mais il arrive aussi que ces confrontations permettent au contraire de se mettre en cause. De prendre conscience que l’on ressemble davantage à nos ennemis que l’on n’aimerait le croire. Que la barbarie que nous voyons en eux nous dérange parce qu’elle nous permet de percevoir la nôtre. Il est fort possible qu’Exodus: Gods and Kings de Ridley Scott cherche à promouvoir un tel usage – que l’on peut appeler vertueux – de la guerre contre l’islam. Nous y assistons au récit de l’épopée de Moïse, qui est à l’origine des trois religions monothéistes, à partir du point de vue d’un athée. En effet, Exodus revient sur cet épisode fondateur pour nous expliquer que Dieu a pu être une pure hallucination de Moïse et les miracles un hasard ou un accident de la nature. Que ces élucubrations n’ont eu d’autre but que de permettre à un peuple qui se trouvait en esclavage sous la dictature des pharaons de se doter d’un ordre politique plus juste. Qu’elles n’étaient que des justifications.

Plus encore. Nous voyons un Moïse incrédule et tourmenté qui a le plus grand mal à se sentir appartenir au peuple juif. Un Moïse qui est chassé de la cour du pharaon par la jalousie de ce dernier et aussi et surtout parce qu’il n’a pas accepté de garder sa place en échange de la perpétration d’un acte sauvage et sanguinaire. Car le pharaon était prêt à accepter que Moïse reste dans la cour si ce dernier consentait à ce que sa servante soit sauvagement amputée de son bras. En bref, Ridley Scott cherche à nous convaincre que Dieu n’est qu’un subterfuge pour permettre la fondation d’un ordre politique dans lequel les hommes puissent enfin échapper au despotisme des autres hommes. La loi de Moïse n’est rien d’autre qu’une limite au pouvoir de ceux que se disent investis par des dieux – comme c’était le cas des pharaons – pour accabler leurs peuples.

En présentant les choses de cette manière, Scott cherche indiscutablement à dénoncer les religions qui se fondent sur le récit biblique, comme c’est le cas de l’islam, pour instaurer des dictatures sanglantes. Mais ne cherche-t-il pas à dénoncer aussi la religiosité du peuple américain, laquelle ne cesse de déborder dans la sphère politique? Et je ne fais pas seulement allusion aux chrétiens extrémistes qui se battent pour abolir l’avortement ou qui luttent contre les droits des homosexuels. Je pense aussi à la manière dont la religion influence les politiques pénales ultrarépressives ou empêche la mise en place d’un Etat capable de venir en aide aux plus pauvres.

Longueurs et lourdeurs

En bref, la principale puissance du monde occidental qui fait la guerre à l’islam est elle-même pétrie de la violence que la religion produit sur elle. Comme si Ridley Scott avait cherché à dire aux Américains qu’il leur faudrait saisir cette extraordinaire occasion qui s’ouvre à eux de se débarrasser de leurs propres dieux sanguinaires. A leur dire: «Regardez-vous dans les yeux de l’ennemi que vous combattez.» Plus encore. A leur dire qu’ils ont raison de faire la guerre contre la terreur islamiste. Que cette guerre qu’ils livrent est juste et qu’il faut la mener jusqu’au bout. Mais puisque les guerres sont à maints égards de terribles calamités, il faut savoir aussi en tirer des profits éthiques et politiques. Or le scénario d’Exodus est si simplificateur et si peu réussi qu’il rebute les athées autant que les croyants. Sans compter que l’absence inexplicable de comédiens noirs – sauf pour jouer des méchants – semble incompréhensible et que les critiques dénoncent à fort juste titre l’ennui, la longueur et la lourdeur du film.

Il est évident que ces terribles défauts transforment Exodus en un véritable navet et rendent les intentions politiques de Ridley Scott parfaitement illisibles. Pire encore. Ces défauts font naître chez les spectateurs des émotions et des idées absolument contraires aux buts du réalisateur. En effet, l’ennui que provoque Exodus pousse les athées aussi intraitables que moi à attendre qu’un événement miraculeux – une pluie galactique, une guerre interstellaire, la colère du Tout-Puissant – arrête enfin leur calvaire. Et ils ne peuvent pas éviter de se demander si le fait d’imposer aux spectateurs un film si long et si lourd n’est pas d’une certaine manière une forme de despotisme comparable à celui que Ramsès exerça contre les Juifs. Ou à celle que l’islam voudrait imposer au monde. Comme si les meilleures intentions de Ridley Scott avaient buté contre l’ire inexorable de Dieu.

«Exodus». De Ridley Scott. Avec Christian Bale et Joel Edgerton. USA/GB/Esp., 2 h 31


L’auteure
Marcela Iacub

La juriste, essayiste et chercheuse franco-argentine publie chaque mois dans L’Hebdo un essai sur un film d’actualité.

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