Beaux-Arts. Fribourg rend hommage à Adèle d’Affry ou «Marcello», sculptrice célèbre sous le Second Empire malgré sa condition d’artiste femme. A l’époque, les écoles d’art n’admettaient que les hommes…
Plusieurs expositions, en cet automne, éclairent l’émancipation difficile de la femme artiste. A Paris, le Grand Palais montre les batailles de Niki de Saint Phalle pour s’imposer dans un monde d’hommes. Dans la même ville, le Musée d’art moderne déploie les créations ambitieuses de Sonia Delaunay, longtemps considérée comme l’ombre portée de son mari Robert.
Le Musée d’art et d’histoire de Fribourg remonte plus loin dans le passé, à l’époque du néoclassicisme en faveur sous le Second Empire, en France. «On n’imagine pas combien d’être une femme retarde en tout», se plaignait Adèle d’Affry (1836-1879) dans une lettre à sa mère. Cette aristocrate fribourgeoise était issue d’une fameuse famille, les d’Affry, qui comptait nombre d’ancêtres magistrats et militaires, dont un a combattu Charles le Téméraire à Morat et un autre a été le premier Landamann de Suisse. Ce qui faisait dire, sur le tard, à Adèle d’Affry: «Toute ma vie aussi fut traversée du regret, évidemment héréditaire, de n’avoir pas été soldat, plutôt que femme, et artiste.»
Terrible constat, mais aussi lucidité de la part d’une sculptrice qui a tenté toute sa vie d’échapper à sa double condition d’aristocrate et de «sexe faible». Le Musée d’art et d’histoire de Fribourg tire parti des recherches récentes sur les conditions de création des artistes au XIXe siècle pour dresser le portrait d’une créatrice pleine de panache.
De Napoléon III à Sissi
A l’époque d’Adèle d’Affry, les portes des académies, en particulier l’Ecole des beaux-arts de Paris, étaient fermées aux femmes. La jeune Fribourgeoise était heureusement née dans une famille riche. Elle a vite pu suivre les cours du sculpteur suisse Heinrich Imhof à Rome, se formant au passage à l’art de la Renaissance, à la philosophie ou à l’histoire.
Alors qu’elle expose pour la première fois ses bustes au Salon de 1863 à Paris, Adèle d’Affry change de nom, optant pour un viril «Marcello». Elle s’était mariée quelques années auparavant au duc italien de Castiglione-Altibrandti, mais s’était vite retrouvée veuve. L’une des raisons du choix de «Marcello» était de cacher sa noble ascendance. Mais sa vraie identité fut découverte, en particulier par le couple impérial au pouvoir en France. Presque contre sa volonté, séduite tout de même par les mondanités, Adèle d’Affry se met à travailler pour Napoléon III et les autres cours européennes. Elle sculpte à la commande, notamment le buste de l’impératrice Sissi d’Autriche, tout en privilégiant la figure de l’héroïne plus forte que l’homme: Gorgone, Hécate, Ananké… Ou la Pythie, son chef-d’œuvre orientalisant, que l’architecte Charles Garnier place au pied des escaliers monumentaux de son Opéra de Paris.
En lutte contre les a priori
Femme du monde, mais aussi figure intellectuelle, la sculptrice échange avec les grands artistes de son temps, comme Delacroix, Courbet, Hébert ou le sculpteur Carpeaux, dont l’art néoclassique est proche du sien.
Adèle d’Affry meurt de la tuberculose à l’âge de 43 ans. Sa postérité artistique, outre une présence dans des institutions comme le Musée d’Orsay à Paris, est concentrée à Fribourg. En particulier au Musée d’art et d’histoire qui lui consacre, sur deux niveaux, une rétrospective claire, élégante et complète. Tout en détaillant la lutte d’une artiste contre les a priori de son époque, illustrés par cette appréciation machiste d’un critique français en 1865: «Qui aurait pensé que la main d’une femme – une main fine, souple, délicate, aristocratique, une main qui semblait uniquement faite pour froisser la dentelle et la soie – pût aussi tailler le marbre, manier l’ébauchoir et tenir le lourd marteau des sculpteurs?»
«Marcello». Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Jusqu’au 22 février 2015. www.mahf.ch