Plaidoyer. Invisibles, juchés en altitude, ils n’ont pas leur nom sur l’affiche et sont pourtant des acteurs essentiels d’une cérémonie religieuse et musicale. Le temps de l’avent nous le rappelle avec force.
Dominique Rosset
Concerts de l’avent et de la nouvelle année, cultes et messes de Noël où l’on se rend tout emmitouflés dans nos manteaux et dans la nuit qui tombe: le temps d’hiver est à l’orgue, à ses sonorités feutrées, plurielles, brillantes, mystérieuses, parfumées au vin chaud et au thé à la cannelle. Si on les repère de loin, souvent d’en bas, le cou tendu, les orgues sont cependant toutes différentes les unes des autres de par leur grandeur, leur emplacement et leurs caractéristiques sonores. Mais elles se distinguent avant tout par celui ou celle qui en joue. Aucun autre instrument de concert n’est joué, en public, par des interprètes aussi différents.
En effet, alors que les communautés paroissiales citadines peuvent compter sur des organistes professionnels, impressionnants virtuoses en équilibre sur leur banc, pieds et mains en action, vaste répertoire à disposition, les autres communautés comptent sur des organistes amateurs – dans le sens le plus noble du terme car, point commun à chacun d’eux, la dimension de service leur est chevillée au corps. «Etre organiste demande un engagement important et régulier au service de la communauté», insiste Anne Chollet, elle-même cotitulaire des orgues de trois paroisses, «pour multiplier les contacts, rencontrer des dynamiques différentes, autant à l’instrument qu’au sein de la communauté».
Contrairement au pasteur ou au prêtre, l’organiste ne parle pas, mais il impose son empreinte aux cérémonies, lesquelles ont tout à gagner à se dérouler avec des partenaires complices. «Beaucoup de gens ne connaissent l’orgue que par le biais de cérémonies funèbres auxquelles, évidemment, ils l’associent», relève un membre de l’Association des organistes romands (AOR), groupement actif dans la mise en réseau, le partage d’informations, la réflexion ainsi que l’encadrement de nouveaux organistes.
L’orgue véhicule alors une image compassée et austère, aux antipodes de ce qu’il est capable de susciter: joie, solennité, émotion, architectures orchestrales ou intimes. Tout dépend des registrations et des œuvres ou transcriptions choisies qui couvrent, fait très rare pour un instrument, tous les siècles de l’histoire de la musique.
Des créateurs d’univers
Quant aux organistes, ils sont des silhouettes que l’on voit de dos, sans visage, des magiciens sonores autonomes capables de tout écraser sous des tempêtes de tuyaux débridés. Pourtant, ils se révèlent en réalité cultivés, fantasques, inventifs et terriblement débrouilles. Ils font chanter l’assemblée mais lui garantissent par ailleurs un accès au sacré. Ils s’adaptent au déroulement du culte, prêts à improviser pour répondre à des impératifs liturgiques. Inspirés par un sujet de prédication, ils seront capables de fouiller des piles de partitions ou des couches de leur mémoire pour en ressortir un thème adéquat avant de le varier à l’infini. Et ils sont prêts à répondre aux souhaits musicaux (pas toujours évidents à exaucer) de couples ou de familles lors de célébrations privées.
«Mais l’orgue n’est pas qu’un instrument au service du sacré, insiste Jean-Christophe Geiser, titulaire à la cathédrale de Lausanne. Il souffre de son image de pompe à cantiques alors qu’il est un instrument de musique et de création à part entière, fascinant, capable de s’affranchir du répertoire liturgique.» Créateurs d’univers hors champ, les organistes tiennent à diffuser la dimension laïque de leur instrument au travers de séries de récitals organisées dans de nombreuses églises, cathédrales et collégiales de Suisse romande: «Quand les gens viennent à un concert, ils doivent savoir qu’ils n’entendront pas la même chose que lors d’un culte!» Les organistes, à l’image de leur instrument, dépassent les clichés. Allons les écouter!