Rencontre. Le duo neuchâtelois présente sa 10e revue de fin d’année et s’apprête à fêter, l’an prochain, ses trente ans de carrière commune. Immixtion dans l’un des plus vieux couples de la scène suisse.
N’en déplaise aux pessimistes et cyniques en tout genre, certaines complicités résistent bel et bien au temps qui passe. Ainsi de l’union de nos improbables stars de l’humour suisse, Cuche et Barbezat, nos péquenauds bien de chez nous, qui fêteront en 2015 leurs noces de perle. Trente ans d’une carrière potache qui les aura vus s’agiter sur toutes les scènes de Suisse romande, de leur théâtre du Locle initial jusqu’à leur consécration à Paris, en 2004, avec leurs désormais célèbres Marionnettes du pénis ou même cette année en… Corée!
Les deux trublions neuchâtelois reviennent aujourd’hui avec leurs indécrottables personnages de Jean-Henri et Pierre-Etienne, aux commandes d’une revue de fin d’année résolument tournée vers le music-hall. Un assemblage étonnant où les performances acrobatiques se mêlent à l’humour délicieusement absurde et décalé de leurs irrésistibles scènes de ménage. Pas sûr que les humoristes Yann Lambiel et Joseph Gorgoni, alias Marie-Thérèse Porchet, invités en alternance, osent s’immiscer dans leurs chamailleries… Rencontre.
Cuche
Sur scène, Benjamin Cuche, c’est l’agité du bocal. Jean-Henri court, saute, cabriole et escalade tout ce qu’il peut. Il a d’ailleurs coutume de remonter sévèrement les bretelles à son Pierre-Etienne, tant l’apathie de ce dernier l’exaspère. Dans la vie, Cuche se révèle plus posé, voire en retrait par rapport à un Barbezat qui prend plus facilement la parole. Jean-Luc nous décrit un Benjamin «constamment de bonne humeur, enthousiaste, suiveur. Je le soupçonne d’ailleurs d’appliquer un peu la méthode Coué. Ce n’est pas possible d’être aussi positif!» Et de relever son caractère «véritablement anticonflictuel»: «C’est d’ailleurs certainement une des raisons de notre réussite. S’il y avait eu deux Barbezat, peut-être que notre duo n’aurait pas duré aussi longtemps!»
Barbezat
«Dans la vie, c’est l’inverse, entame Cuche. C’est lui qui fait beaucoup de choses pour le duo. Il lance les projets, contacte les personnes, gère l’administratif… En fait, il s’agite autant hors scène que mon personnage sur les planches.» Jean-Luc Barbezat, le faussement mollasson du duo, le dit d’ailleurs clairement: «Je me sens plus l’âme d’un administrateur, producteur ou metteur en scène» – activité qu’il multiplie d’ailleurs auprès de ses camarades humoristes. Reste que l’actif Barbezat ne se détache jamais réellement de son allure nonchalante. Une tactique pour mieux prendre au dépourvu ses interlocuteurs?
Couple
La métaphore leur convient parfaitement. Ils se réjouissent même d’être «un vieux couple». «C’est très agréable d’être avec quelqu’un que l’on connaît si bien, lance Benjamin. Ce que je ne comprenais d’ailleurs pas lorsque mes parents me disaient que cela valait la peine de rester ensemble.» Et d’expliquer: «Il y a une sorte de confort, pas dans le sens pépère du terme, mais c’est comme une application économie d’énergie qui se mettrait en marche. On connaît l’autre, on sait qu’on ne changera pas ses défauts et on ne s’emmerde donc plus à se prendre la tête pour des bêtises.» Leur relation a d’ailleurs évolué avec le temps. «Au départ, on était inséparables, raconte Barbezat. On vivait dans le même appart, on faisait presque tout ensemble. A présent, on partage moins en dehors du travail. Mais on sait très bien que la complicité que l’on a sur scène, jamais on ne la retrouvera ailleurs. C’est ce bonheur d’être sur scène qui maintient notre couple.»
Trente ans
«Trente ans de carrière, mais du côté de l’amitié, on peut rajouter quelques années», relève Cuche. «C’est passé très vite», commente Jean-Luc Barbezat, qui réfute toute notion d’étonnement. «A vrai dire, on s’est très vite imaginé pouvoir faire carrière ensemble. Tout a été très vite. On avait 23-24 ans quand on est passés dans l’émission La classe sur France 3 et remarqué que nos personnages pas très futes-futes marchaient. On n’a jamais hésité à continuer.» Et les camarades de commencer à s’amuser et délirer sur le fait qu’ils n’avaient pas vraiment le choix, qu’ils sont aussi «nazes l’un que l’autre», et qu’au moins «là, on est avec quelqu’un qui a le même niveau». «On est nuls et, ensemble, ça marche. Ça me paraît une très bonne raison de rester ensemble, non?» chine encore Benjamin.
Infidélités
Si leur relation dure, elle n’a pas été pour autant exclusive. Notamment du côté de Barbezat, dont la carrière de metteur en scène a pris ces dernières années de plus en plus d’ampleur. «On a toujours été clairs là-dessus, répond Benjamin. Si l’un de nous a envie d’aller voir ailleurs, il est totalement libre. On se le dit, on y va, et ce qui est très intéressant c’est qu’on se raconte ce qui s’est passé!» (Rires.) Et Barbezat de conclure sur ce sujet tendancieux: «Cela amène une nouvelle énergie dans notre couple. Et après, on est toujours heureux de se retrouver.»
Crise
«Il y a un moment, on s’est vraiment fait la gueule, raconte Barbezat. On était dans les coulisses et on ne se parlait pas. Puis, on montait sur scène et c’était magique. On pouvait même se taquiner dans les impros sur le sujet qui nous embêtait. On se faisait des gags, on était heureux, et puis on redescendait et on ne se parlait de nouveau plus.» Et Benjamin, fidèle à son tempérament, de minimiser la crise: «Oui, mais c’est parce qu’on n’était pas vraiment fâchés… Non?» «C’est la seule fois où j’ai voulu claquer la porte», lui répond Barbezat. Et Benjamin de tempérer, une fois encore, avec tout son charme: «En tout cas, ce qui est bien, c’est que l’on n’a jamais eu la même envie en même temps!»
Suisse
Si le tandem s’est fait connaître avec ses personnages typiquement romands, les humoristes plaident la non-préméditation. «Vous voulez parler de notre accent? On l’a, on ne pouvait juste pas faire autrement», répond Cuche. Et Barbezat de compléter: «On a fait avec nos défauts et l’absence de certaines qualités. Et un de nos défauts, c’était cet accent. On ne l’a pas banni, on n’a pas essayé de l’effacer, mais on a joué avec et puis, au final, c’est devenu presque une qualité, ou en tout cas une image de marque.» Les comiques sont également contre l’idée d’un «humour suisse». «La qualité de l’humour suisse relèverait alors de sa diversification, pointe Barbezat. L’humour suisse est incroyablement varié. Que cela soit avec Recrosio, Karim Slama, Yann Lambiel, Marie-Thérèse Porchet ou encore Donnet-Monay, ils sont tous différents. Et ce que je remarque, c’est que les Romands sont attachés à leurs humoristes, ce qui n’est pas tant le cas avec leurs chanteurs.»
Femmes
Si Mme Cuche et Mme Barbezat partagent le même prénom, Patricia, il n’en va pas de même de leurs existences. Elles se connaissent, se croisent, mais ne sont pas amies. «Elles ne se retrouvent pas comme les femmes de footballeurs, pendant les camps d’entraînement, pour faire de la peinture sur soie, ironise Benjamin. On a des occasions de se rencontrer, mais on ne passe pas Noël ensemble.» Seraient-elles jalouses de leur complicité? «Pas directement, mais je peux imaginer qu’elles peuvent l’être parfois de notre travail, avance Barbezat. Faire les guignols, ce n’est pas toujours la rigolade. Je suis par moments très préoccupé, et je pense qu’elle peut parfois regretter de n’avoir pas pris plutôt le facteur du village.» «Elle n’a qu’à prendre un mi-temps à la poste», lui rétorque Benjamin, toujours taquin.
Edition 2014
L’édition 2014 veut marquer un tournant dans la carrière de nos humoristes, qui ont décidé de guigner du côté du music-hall, «une forme de spectacle peu répandue en Suisse romande». Ainsi, en dehors des sketchs typiquement satiriques (la votation du 9 février, les frasques des politiciens neuchâtelois ou les problèmes conjugaux de la politique française), le spectacle présente les prestations de différents artistes renommés: Les Vitaminés, Julie Lavergne, Broadway Compagnie et le trio Starbucks. «C’est quelque chose qui nous titille beaucoup: faire les Shirley et Dino en Suisse romande…» Rendez-vous dans dix ans?
«La Revue de Cuche et Barbezat fait son cabaret».
Avec en alternance Marie-Thérèse Porchet et Yann Lambiel.
Neuchâtel, Théâtre du Passage . Jusqu’au 28 décembre.
Rés.: 032 717 79 07 ou www.theatredupassage.ch
Sur www.hebdo.ch retrouvez le teaser du spectacle sur notre site
«Les Revues, une institution romande»
Si cela fait sept ans que Cuche et Barbezat n’ont pas donné de revue, cette édition 2014 représente leur dixième exercice de ce type. Un exercice hautement attendu, tant les revues sont des institutions en Suisse. «Celle de Genève est carrément mise au concours pour savoir qui va la faire», rappelle Cuche. Et Barbezat de renchérir: «C’est une vraie tradition suisse. En France, ça n’existe pratiquement pas. En Belgique, un tout petit peu. Mais ici, même dans les villages, tout le monde va voir la revue. Que cela soit celle des pompiers ou du chœur des hommes.»
A la base, en effet, les revues étaient une affaire de sociétés locales, de corporations ou de partis politiques: le club de foot, le Barreau, le PLR, etc. «A la fin de l’année, les gens veulent se payer la tête de leurs dirigeants et des people. C’est comme le carnaval, c’est libérateur, explique encore Barbezat. Et les Romands ressentent fortement ce besoin que l’on s’adresse à eux, que l’on malmène leur propre actualité.»
En dehors des revues pérennes, telles celles de Genève et de Servion, ces troupes villageoises mélangeant amateurs et professionnels sont souvent éphémères: elles naissent puis disparaissent (souvent faute de participants), puis renaissent subitement ou se réinventent. Comme la revue de Fribourg, FriBug, née en 1999, en veille entre 2005 et 2009, et qui reprend une pause cette année sans explication. Le Valais présentera, quant à lui, la sienne à la belle saison. Restent plusieurs revues régionales des plus intéressantes, notamment à Cully, Thierrens, Saint-Imier, Cernier, Môtiers, Fontainemelon, etc. Avis aux amateurs!