Zoom. Le Vaudois a réuni sur un DVD l’intégralité de ses chansons enregistrées depuis la fin des années 60. Pour «L’Hebdo», il commente quelques-uns de ses titres phares.
Propos recueillis par Stéphane Gobbo
Un beau jour, Michel Bühler se dit que ce serait bien que tous ses albums, dont un certain nombre sont épuisés, soient de nouveau disponibles. Il pense d’abord à une intégrale, mais un coffret réunissant près de vingt disques, c’est cher. Comme il a déjà numérisé toutes ses chansons, le Vaudois prend alors la décision de créer un site internet permettant de voyager d’un album et d’un morceau à l’autre, et surtout de lire ses textes, parce que, chez Michel Bühler, ce sont avant tout les paroles qui comptent. Un site, c’est pratique mais ça reste virtuel. Il choisit finalement d’en faire un DVD. Il aurait pu opter pour une simple clé USB, dit-il, mais il a préféré proposer un vrai objet pouvant se ranger dans une vraie discothèque. Voici donc tout Bühler sur une galette.
Pour L’Hebdo, le musicien et écrivain a accepté de commenter cinq titres représentatifs de sa longue carrière. Comme cinq, ce n’est quand même pas beaucoup, il a encore choisi deux morceaux qui lui tiennent particulièrement à cœur: Ainsi parlait un vieil Indien et L’espoir.
Helvétiquement vôtre
Helvétiquement vôtre, 1969
«Il s’agit de la première chanson de mon premier album. C’est aussi la première qui a marché. A l’époque, elle a même fait scandale dans certains milieux, vu qu’il n’était pas correct d’égratigner notre mère la Suisse. Si j’ai commencé à écrire des chansons, c’est parce que j’avais le sentiment que toutes celles que j’entendais étaient françaises, parisiennes ou d’Ardèche, venant de Ferrat, et belges, venant de Brel. Je me disais qu’on devait aussi pouvoir parler des gens de chez nous, et c’est ce qui m’a motivé. Je pensais, et d’ailleurs je le pense toujours, que la Suisse est un pays dans lequel il fait bon vivre. Mais quand on aime bien quelqu’un ou quelque chose, on souhaiterait que ce quelqu’un ou ce quelque chose soit le meilleur du monde. Je rêverais que mon pays soit le meilleur du monde, mais déjà à l’époque j’avais le sentiment que, derrière sa façade d’honorabilité, de pays d’accueil et de pays de la Croix-Rouge, il y avait quand même des choses qui n’étaient pas nettes. La Suisse soutenait par exemple l’Afrique du Sud de l’apartheid. On accueillait déjà dans nos banques les fortunes des dictateurs d’un peu partout. La Suisse avait une image de carte postale, mais, si on grattait un peu, et c’est toujours le cas aujourd’hui, c’était bien différent. C’est ce que j’ai voulu dire à travers cette chanson, car j’ai toujours pensé que la musique était un moyen d’expression comme les autres, comme le cinéma ou la littérature.»
Les immigrés
Immigré, 1976
«Mes textes partent souvent de quelque chose de vécu, et là je me souviens très bien que j’étais allé prendre un train de nuit pour Paris. Dans la salle d’attente de la gare de Lausanne, j’avais vu des gens arriver avec des valises presque en carton entourées de ficelle. Cette chanson a touché beaucoup de gens qui sont ensuite devenus des amis. Notamment mon copain Josef Zisyadis, qui m’a dit que, lorsqu’il est arrivé de Grèce avec sa famille, c’est exactement ce qu’il avait vécu. Ce titre a été bien perçu à l’époque. On devait être au moment des premières initiatives Schwarzenbach et c’était comme un drapeau pour ceux qui s’y opposaient. Par contre, les étiquettes de chanteur engagé ou de chanteur militant, je m’en balance. Je ne les refuse pas, car c’est vrai que je dis ce que je pense et que j’émets des opinions politiques. A l’époque des premières vagues d’immigration, on disait: «C’est épouvantable, ils vont venir violer nos femmes, ils ne sont pas comme nous.» Mais les Italiens se sont complètement intégrés et ce fut la même chose avec les Espagnols. A chaque vague, une frange de la population a peur, tient à ses privilèges et à son petit pré carré. Puis, au bout de quelques années, on constate que ces gens sont intégrés. Ce qui me chagrine donc, c’est l’impression que les gens n’apprennent pas grand-chose. Car toutes ces vagues successives ont apporté de la richesse à la Suisse. Les Italiens ont bâti nos maisons, nos tunnels. Ce qui se passe ces temps m’inquiète.»
Ainsi parlait un vieil Indien
Il aimait les rires, 1987
«De toutes les chansons que j’ai composées, c’est peut-être ma préférée. Une chanson, c’est une osmose entre un texte et une musique qui la porte, et là je crois que j’ai pas mal réussi mon coup. Je l’ai écrite à partir d’une lettre envoyée par le chef Seattle au président des Etats-Unis, une lettre que tous les écolos connaissent. La philosophie qui y est transmise me plaît. J’aime beaucoup les textes des Indiens, leur rapport à la terre, à la nature.»
En Haïti
L’autre chemin, 1993
«En 1991, pour le 700e anniversaire de la Confédération, la Radio suisse romande, sur initiative du journaliste Frank Musy, a décidé d’envoyer des équipes de reporters en Haïti, faisant en quelque sorte le lien entre un des pays les plus pauvres et un des pays les plus riches de la planète. Chaque mois, ils envoyaient également une dizaine de Suisses qui sortaient d’apprentissage afin de bosser avec de jeunes Haïtiens en formation. Quand j’ai su cela, j’ai dit à Frank Musy de faire attention avec ces adolescents, que Haïti pouvait être un pays dur. Je leur ai alors conseillé d’envoyer un accompagnant, quelqu’un qui avait déjà voyagé et qui savait gérer les jeunes. Ils m’ont dit que c’était une bonne idée. Ça tombait bien, j’étais libre. J’ai donc passé trois mois en Haïti dans le cadre de ce projet. Un souvenir extraordinaire. Le contact entre les Suisses et les Haïtiens était magnifique. Tout au long de ma vie j’ai essayé, quand j’avais le temps, d’aller voir à l’autre bout de la terre ce qui s’y passait, voir comment vivaient les gens. J’ai un petit côté Tintin.»
Chanson vaudoise
En public 1965-1982, 1995
«Je me sens Vaudois, mais je me sens de Sainte-Croix. Et à Sainte-Croix, je me sens de tel quartier. En même temps, lorsque je suis en France, je suis Suisse. Et quand je suis en Amérique, je suis Européen. Cette chanson, c’est bien sûr un gag, et aussi un clin d’œil à notre grand ancêtre à tous, nous autres chanteurs romands: Jean Villard Gilles. Quand je construis un spectacle, j’ai envie que les gens aient du plaisir, qu’ils réfléchissent mais aussi qu’ils rient. J’écris donc de temps en temps des chansons pour détendre l’atmosphère. Je ne me souviens pas exactement de la version qui figure sur l’album En public, mais, à l’époque, il m’est souvent arrivé de reprendre ce titre en duo avec Pascal Auberson. Pour moi, la scène c’est le moment du partage. On écrit ses chansons chez soi, on les enregistre en studio avec quelques musiciens, on est entre nous, puis sur scène on partage et on se met en danger. C’est à la fois intéressant et angoissant. Avant d’entrer en scène, il y a quasiment chaque fois un pincement. Je ne dirais pas que je panique, mais j’ai l’estomac noué. Est-ce que je vais réussir à amener les spectateurs dans mon monde? Même s’il m’arrive rarement de me produire dans un endroit où je ne suis pas attendu, je me demande toujours si je parviendrai à séduire. Un chanteur est comme une strip-teaseuse. Cependant, l’angoisse est largement compensée par le plaisir d’être sur scène.»
L’espoir
Chansons têtues, 2004
«C’est la chanson avec laquelle je termine en général mes spectacles. Il est évident que, si on regarde comment va notre planète aujourd’hui, ce n’est pas extraordinaire. Changement climatique, épuisement des ressources, les sujets d’inquiétude sont nombreux. Mais malgré cela je me dis que l’homme va s’en sortir. Je ne vais pas signer en disant que ça ira mieux, mais je l’espère vraiment.»
Et voilà!
Et voilà!, 2012
«Je n’avais pas pensé que ce titre puisse fonctionner en miroir avec Helvétiquement vôtre, mais dans un sens, c’est vrai. Il se trouve que je vais avoir 70 ans l’an prochain. Ce qui me reste à vivre est vraisemblablement moins long que ce que j’ai déjà vécu. Donc là, c’est une manière non pas de faire le bilan, mais de se dire que ça va se terminer un jour. J’avais envie de faire un pied de nez à la mort, à la fin des choses. J’aime bien l’image du vieux clown qui quitte la scène. D’ailleurs, quand je chante cette chanson sur scène et que je parle du clown qui dit «Et voilà!», je me mets un nez rouge. Ce texte, c’est comme pour Chanson vaudoise: c’est un gag. Je joue au vieux con râleur et il faut évidemment me prendre au deuxième ou au troisième degré.» ■
«L’intégrale - 229 chansons en format mp3».
De Michel Bühler. A commander (60 francs)
sur www.michelbuhler.com