«Le Conseil fédéral prend acte.» On aurait difficilement pu trouver formule plus neutre et plus distanciée pour commenter l’acceptation, par le Kunstmuseum de Berne, de la succession de Cornelius Gurlitt. Certes, le «cadeau» du vieil Allemand mort en mai dernier à l’âge de 82 ans met dans l’embarras, tant son origine est sulfureuse.
Les 1600 œuvres de la collection d’art proviennent de son père, Hildebrand Gurlitt, marchand de tableaux chargé par les nazis d’écumer musées et collections privées du IIIe Reich pour y confisquer les œuvres considérées comme «art dégénéré». Gurlitt, propriétaire aussi d’art spolié à des juifs obligés de vendre leur bien. On comprend dès lors que la Suisse n’ait pas poussé de cris d’enthousiasme déplacés.
Mais l’on s’étonne de tant de frilosité face à la convention signée lundi 24 novembre à Berlin entre le musée, l’Allemagne et la Bavière. Parce que l’Allemagne endosse la majeure partie des travaux de recherches et des risques financiers. Parce que les parties se sont engagées à respecter les Principes de Washington visant à établir la provenance des biens confisqués par les nazis et leur restitution. Parce que la Suisse, qui ne fut pas au-dessus de tout soupçon durant la Seconde Guerre mondiale, a désormais l’occasion de participer à un travail de mémoire et de réparation.
On se souvient de l’or dans nos banques. On se souvient de la crise des fonds en déshérence, on se souvient de l’idée d’une Fondation Suisse solidaire, de la création de Présence Suisse. Alors pourquoi la Confédération se distancie à ce point d’un accord signé avec la ministre allemande de la Culture, souhaité par notre grand voisin mais aussi par les organisations juives de Suisse et d’Allemagne? On aurait attendu une déclaration solennelle, une présence politique dans ce dossier. D’autant plus que le Message culture 2016-2019 préparé par les services d’Alain Berset explique, au sujet de Berne: «Une capitale fédérale doit… faire état de projets culturels d’envergure dont la qualité, le retentissement et le rayonnement permettent de toucher un large public au-delà de nos frontières géographiques.»