Interview. Le célèbre Chat de Philippe Geluck s’affiche désormais dans les plus prestigieuses galeries d’art, comme à Lausanne. Faut-il en rire ou s’en réjouir? Confrontons l’auteur.
Propos recueillis par Anne-Sylvie Sprenger
Insolite, le lieu de rencontre: l’humoriste Philippe Geluck nous a donné rendez-vous au Salon des antiquaires et des arts du XXe, à Lausanne. Diverses toiles de son complice Le Chat sont ainsi exposées là, entre meubles anciens, porcelaines et autres pièces d’argenterie. Il est l’un des deux artistes mis en avant par la Galerie Catherine Niederhauser. Si on connaît tout son talent de bédéiste, sa place est-elle bien dans les galeries d’art et les ventes aux enchères? Ou ne serait-ce qu’une de ses énièmes farces? Confrontation en règle et en désordre.
Que faites-vous, bon sang, avec votre Chat dans une galerie d’art? Vous vous êtes perdus?
Pas du tout: nous faisons de l’art. Quand on travaille sur des petits formats, on fait de la bande dessinée ou du dessin de presse. Et puis si on fait la même chose en grand, c’est de l’art. On passe alors d’un art mineur à de l’Art majeur, avec capitale.
Vous n’allez pas me dire que tout n’est qu’une question de taille! Alors, en quoi vos œuvres du Chat sont de l’art contemporain?
Eh bien, ce sont des tableaux exposés à des murs et je ne suis pas mort. Non, cela m’amuse de jouer à l’artiste contemporain, parce que je trouve qu’il y a pas mal de poudre aux yeux chez pas mal de monde… J’expose mais je n’ai pas le sentiment d’être un peintre.
C’est vrai qu’au niveau du coup de crayon vous n’avez rien d’exceptionnel, comme un Picasso ou…
Alors Picasso peint mieux que moi, mais mes tableaux sont plus rigolos. Et puis vous me chagrinez: ce dont je suis le plus fier avec mes toiles, c’est d’avoir réussi à ne pas déborder. Même si on est dans l’insolence ou le trash, on reste ce petit garçon qui cherche à se faire féliciter par le professeur. Même si je ne me prends pas au sérieux, je prends ce que je fais sérieusement. Et là, je souhaite lancer un grand mouvement de la peinture rigolote, parce qu’on doit avouer qu’elle n’est jamais très amusante…
L’art et l’humour ne seraient-ils pas antinomiques?
C’est pour cela que j’aimerais les réconcilier. Le rire est fondamentalement lié à la vie et au bonheur de vivre. La vie sans rire doit être d’une tristesse infinie. Et si la vie éternelle existe, elle doit être mortellement chiante, parce qu’il n’y a que des culs pincés qui s’y retrouvent. Boris Vian le disait dans une chanson: on doit rigoler bien davantage en enfer qu’au paradis.
Le monde de l’art contemporain ressemblerait déjà à ce paradis bordé de «culs pincés»?
C’est vous qui le dites. Mais oui, un peu… Il y a des artistes contemporains que j’adore, que j’admire, que j’envie même parfois pour leur audace, pour leur savoir-faire. Mais il y a quand même beaucoup de faiseurs dans ce domaine. Prenez un Jeff Koons: chez lui, il n’y a pas une pointe d’humour. C’est de la pure stratégie. On est en plein dans le foutage de gueule, mais un foutage de gueule qui coûte des millions de dollars à ses victimes – qui sont évidemment des victimes consentantes.
Finalement, votre but, c’est de vous payer la tête de ce milieu? Un coup à la Duchamp?
Ce qui m’amuse particulièrement, c’est d’intriguer les collectionneurs. De ne pas dire où je tends des pièges aux gens un peu fats et où je peux parfois me prendre au sérieux avec certaines choses faites avec tout mon cœur. Cela m’amuse aussi extraordinairement, quand mon petit-fils gribouille sur un de mes dessins, d’imaginer la tête des amateurs qui vont acheter des œuvres en salle des ventes à des prix de fous. Ils en seraient verts.
Justement: combien vaut Geluck?
J’ai des pièces qui sont parties à 50 000 euros, mais l’absurdité de la chose, c’est que je ne pourrais plus me les offrir!
Et comment les artistes voient votre arrivée dans les ventes aux enchères?
Ils doivent se dire que la supercherie est découverte et que maintenant, avec l’art rigolo, ils vont être débusqués. A mon avis, ils doivent trembler gravement. Quant aux collectionneurs, si je peux leur donner un conseil, c’est d’investir maintenant.
Exposition «Le Chat». De Philippe Geluck. Salon des antiquaires et des arts du XXe, Beaulieu. Jusqu’au 23.11. Galerie Catherine Niederhauser, Lausanne. Du 27.11 au 20.12.