A priori, il était la figure même du savant fou. Hirsute à la fin de sa vie, reclus dans un coin des Pyrénées, en rupture avec le monde entier. Décédé à 86 ans en Ariège, Alexander Grothendieck a été un grand génie des mathématiques, médaille Fields en 1966, avant de prendre la tangente, il y a une trentaine d’années. Grothendieck, c’est la refondation de la géométrie algébrique et de la notion d’espace, l’exigence de trouver d’autres points de vue. Sa pensée unique a largement diffusé dans les mathématiques du XXe siècle.
Grothendieck, qui ressemblait furieusement à Michel Foucault, c’est aussi un parcours de vie tragique et extra-ordinaire. Né à Berlin en 1928 d’une mère allemande et d’un père juif, russe et anarchiste, le garçon est d’abord caché dans une ferme avant de rejoindre ses parents en France. C’est la guerre. Le père est déporté à Auschwitz et Alexander survit grâce au Secours suisse pour enfants réfugiés en Auvergne, alors que sa mère est internée dans les camps français. A la Libération, l’adolescent est recommandé à deux mathématiciens de Montpellier qui lui confient une liste de quatorze problèmes. Ils lui demandent d’en choisir un et de travailler dessus dans les années à venir. Quelques mois plus tard, Alexander Grothendieck revient voir ses maîtres, ayant résolu les quatorze problèmes… Alors apatride (il sera naturalisé Français en 1971), le mathématicien ne peut travailler dans la fonction publique. Son génie est tel qu’un mécène crée un institut de recherche exprès pour lui. Il y développe sa nouvelle vision de la géométrie, tout en s’intéressant de plus en plus à l’écologie et au pacifisme. Selon Le Monde, outre la psychose qui l’affectait, le point de rupture de Grothendieck viendrait d’une condamnation pour avoir hébergé et nourri, dans les années 70, un étranger en situation irrégulière, au nom d’une loi française sur l’immigration qu’il jugeait «scélérate».
