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Alain Souchon & Laurent Voulzy: l’évidence pop

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Jeudi, 20 Novembre, 2014 - 05:56

Evénement. Ils travaillent ensemble depuis quarante ans et n’avaient jamais enregistré d’album commun. C’est dorénavant chose faite avec un disque lumineux.

Ce disque était une évidence, mais il aura mis quarante ans à voir le jour. Une longue gestation, comme pour dire qu’avec l’inéluctabilité rien ne presse. Le voilà, enfin, ce premier album cosigné Alain Souchon et Laurent Voulzy, qui ont passé l’essentiel de leur carrière à travailler ensemble, mais sans jamais chanter ensemble, l’un s’effaçant toujours au profit de l’autre.

«Là, derrière nos voix, est-ce que l’on voit nos cœurs et les tourments à l’intérieur, ou seulement la la la?» Premier titre de ce disque sobrement intitulé Alain Souchon & Laurent Voulzy, parce que l’évidence n’en dictait pas d’autre, Derrière les mots associe pour le meilleur les phrases du premier aux arrangements du second. Comme en 1974 déjà, sur ce J’ai dix ans mis en musique par Voulzy sur un texte de Souchon, et chanté par ce dernier sur son premier album. Eden pop qui conditionnera quatre décennies d’un intense compagnonnage, J’ai dix ans parlait de la peur de grandir, ou plutôt de l’envie de ne pas vieillir. Derrière les mots, qui dit qu’au-delà des chansons et des mélodies il y a deux hommes, avec leurs émotions et leurs états d’âme, répond de manière troublante à cette chanson originelle. Elle évoque, de manière joliment diffuse, le chemin parcouru.

Sur le label des beatles

Le cœur grenadine, Bopper en larmes, le monument Rockcollection, on pourrait comme ça énumérer les titres composés par Voulzy et écrits par Souchon pour souligner à quel point leur amitié aura marqué l’histoire de la musique française. Impossible en revanche de décrire les intimes sensations que procure ce premier album à deux voix.

On pourrait tenter d’expliquer que celles-ci sont magnifiquement complémentaires, qu’au timbre plus aigu de Voulzy répond le grain plus mélancolique de Souchon, mais on serait loin de décrire l’indicible magie qui opère tout au long de ce disque que l’on peut écouter en boucle, encore et encore, sans jamais se lasser. Le tropisme pop anglaise de Voulzy est évidemment pour beaucoup dans cette réussite. L’ouverture de Derrière les mots, quelques notes de clavier qui emplissent superbement l’espace, rappelle par exemple Harvey Williams, ce délicat musicien londonien qui, au tournant des années 80, a été pour beaucoup dans le succès du label Sarah Records.

Plusieurs maisons de disques se sont battues pour sortir cet album événement, et c’est Parlophone qui a emporté la mise. Soit la structure connue pour avoir misé avant les autres sur quatre garçons dans le vent. Il ne pouvait en être autrement.

Des airs de dernière séance

Lorsque plus loin, dans Derrière les mots, les Français s’autorisent un petit couplet en anglais – «love you’re on my mind…» –, c’est bien sûr l’ombre des Beatles qui plane. Voulzy a toujours été plutôt Paul que John et il y a dans son approche de la mélodie quelque chose qui évoque irrémédiablement ce qu’a pu faire McCartney. Ecoutez En Ile-de-France, fermez les yeux, imaginez le swinging London des sixities… A l’heure où Julien Clerc tente, avec un album enregistré dans la capitale anglaise, de nous faire croire qu’il a lui aussi un penchant pour la musique british, ce titre d’une désarmante simplicité achève de faire du Parisien d’origine guadeloupéenne le plus précieux des orfèvres pop de la chanson française.

De son côté, Souchon joue subtilement avec le français, cette langue qu’on dit encore souvent peu musicale, en opposition à l’anglais, alors qu’elle est seulement plus ardue à manipuler. Qu’elle ne se laisse pas facilement apprivoiser, que sa dimension littéraire demande plus d’attention. Mais Souchon ne s’embarrasse pas de tout cela. Il ne se revendique pas poète, de même qu’il ne verse jamais dans la niaiserie qui a fait tant de tort à la variété. Qu’il évoque le grand amour de Saint-Exupéry (Consuelo) ou une jeune gothique un peu paumée (Bad Boys), ses mots font corps avec la musique tout en racontant quelque chose. Et il y a aussi ces petites allusions, à la déliquescence des élites (Oiseau malin) ou à Baudelaire (Les fleurs du bal).
En fin de disque, Souffrir des souvenirs, avec ce «rêve Clémentine» qui sonne comme Le cœur grenadine, évoque le temps qui passe, et donc, forcément, ces quatre décennies d’un beau voyage musical. «Goodbye, goodbye», chantent dans un même élan Souchon et Voulzy, comme si ce disque solaire allait rester unique dans leur discographie. On les imagine déjà chantant en rappel, au cours de leur tournée à venir, cette ballade tire-larmes qui a des airs de dernière séance.

Les fils avant les pères

Oui, les deux amis auraient pu enregistrer cet album évident plus tôt. Du coup, ils auraient pu en faire d’autres, ne pas se contenter de hanter chacun à son tour les enregistrements de l’autre, comme pour ne pas lui faire d’ombre. Alors que dans le fond on a toujours dit Souchon et Voulzy comme on dit Simon et Garfunkel. Quarante ans après leur rencontre, ils font enfin corps pour donner naissance à une troisième personne, comme le dit Voulzy. Et dire qu’il y a vingt ans le duo Les Cherche Midi réunissait Pierre Souchon et Julien Voulzy, qui bien avant leurs pères avaient accepté l’inéluctabilité. Mais peu importe. Ce disque existe et, au-delà de sa dimension événementielle, il est tout simplement beau.

«Alain Souchon & Laurent Voulzy». Parlophone/Warner Music. En concert le 7 mai 2015 à Genève (Arena).

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Philippe Quaisse / Pasco
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