Polémique. Comme le montre l’accusation de plagiat qui vise le Valaisan Valentin Carron, la démarche artistique de l’appropriation reste aussi ambiguë qu’incomprise.
«J’ai décidé de ne pas entrer dans cette polémique. Elle ne m’intéresse pas», lâche Valentin Carron au téléphone. Voilà qui est cohérent avec la démarche de l’artiste valaisan. En refusant de s’exprimer sur l’accusation de plagiat qui l’accable depuis quelques jours, Valentin Carron prive le public d’utiles, voire nécessaires explications sur la forme d’expression qu’il a choisie: l’appropriation. Oyez, oyez! Lui ne s’adresse qu’aux cognoscenti de l’art contemporain, ce monde clos d’initiés qui sait apprécier son œuvre à sa juste et chère valeur.
Cette froide distance, lui sur la hauteur, nous tout en bas, est au cœur de la démarche du Valaisan. La polémique actuelle le montre bien. A la récente FIAC de Paris, le fils du sculpteur italien Marino di Teana (1920-2012) tombe, sur le stand de la galerie zurichoise Eva Presenhuber, sur ce qui lui semble l’exacte copie d’un travail de son père, L’aube, une sculpture moderniste naguère donnée au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. Pas un chef-d’œuvre, certes, mais une composition solide qui suggère la passion du sculpteur italien pour l’architecture.
L’aube date de 1977, année de la naissance de Valentin Carron, auteur du prétendu copié-collé exposé à la FIAC, au prix de 65 000 francs. La forme, les dimensions, les teintes, le titre: tout est semblable à l’original de Marino di Teana dans la pièce de Carron. A l’exception notable des matériaux choisis: au lieu de l’acier rouillé Corten et de la pierre, l’artiste valaisan a opté pour de la fibre de verre, du polystyrène, de la peinture et de la résine synthétiques. Il n’a pas indiqué la source de son inspiration dans sa nouvelle œuvre. Le fils de Marino di Teana a porté plainte contre Valentin Carron pour plagiat le 7 novembre dernier.
Aura-t-il gain de cause, pour autant que l’affaire aboutisse à un procès (c’est rarement le cas)? Difficile à dire, tant ce type d’enjeu dépend des législations en vigueur et de l’évolution des sensibilités juridiques à ce genre d’emprunt artistique. Il y a peu, l’artiste américain Richard Prince, l’un des rois de l’appropriation artistique, avait été condamné en première instance aux Etats-Unis pour s’être trop inspiré des images d’un photographe français. Il a obtenu gain de cause en deuxième instance, les juges estimant que les œuvres de Richard Prince montraient des «changements significatifs» par rapport aux photos du Français. C’est tout l’enjeu du fair use, ou utilisation raisonnable, d’une œuvre d’art, même protégée par la propriété intellectuelle.
Le graphiste et artiste américain Shepard Fairey a en revanche perdu son procès. Fairey est célèbre pour son poster coloré de Barack Obama, titré HOPE, lors de la première campagne présidentielle du politicien. Or, le graphiste avait pompé sans vergogne une photographie de l’agence AP, sans mentionner sa source, au mépris des droits d’auteur. Fairey a pu convaincre les juges de la pertinence de son utilisation raisonnable. Mais il a hélas triché en détruisant des documents au cours de la procédure. Ce que n’a pas du tout aimé le tribunal new-yorkais qui examinait son cas.
L’affaire Carron, qui se soldera sans doute par une négociation et un accord financier, est du même tonneau. Elle tient moins à la propriété intellectuelle qu’à la question du décalage introduit par l’artiste lors du passage de l’original à la copie. En l’occurrence, la transformation tient dans le choix de matériaux totalement différents, aussi légers que ceux de Marino di Teana étaient pesants.
De surcroît, la copie de Valentin Carron s’inscrit dans la pratique reconnue de l’artiste de Martigny, cette fameuse appropriation artistique en vigueur depuis la fin des années 70 et aujourd’hui sur le déclin. Issu du pop art (Andy Warhol et ses boîtes de soupe Campbell) aussi bien que du postmodernisme (le courant de la citation et du pastiche), l’appropriationnisme est une stratégie conceptuelle. Elle vise à interroger les notions de l’auteur, de l’original, de l’art, de la propriété intellectuelle ou encore du sens des images dans notre société consumériste. C’est une posture critique, intellectuelle, réflexive, ironique, voire cynique. Elle est sèche, sans émotion aucune et rend rarement hommage aux œuvres qui inspirent sa démarche narquoise.
Bref, tout à fait dans la manière de Valentin Carron. Lequel n’hésite pas à exposer des cyclomoteurs Ciao tels quels pour s’amuser à la fois de la fascination séculaire pour la vitesse et des malheureux qui étaient contraints de rouler sur de tels boguets limités à 30 km/h.
Pourquoi pas. C’est son droit d’artiste libre. Le seul tort de Valentin Carron, en la présente affaire, a été de ne pas mentionner sa source dans la sculpture synthétique exposée à la FIAC. Cette maladresse lui vaut un petit scandale, dont on peut être sûr qu’il saura se l’approprier pour séduire encore davantage, à l’avenir, les vrais connaisseurs d’art.