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Lélo et Amor, passion romaine

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Jeudi, 6 Novembre, 2014 - 05:57

Correspondance. Les lettres d’amour d’Alberto Moravia à la peintre lausannoise Lélo Fiaux sont enfin publiées et exposées. Un jaloux, une libertine, une grande passion artistique.

Elle était libre, solaire, bohème. Il était inquiet, jaloux, introverti. Hélène la peintre suisse, dite Lélo, et Alberto l’écrivain italien se croisent dans les rues de Rome en 1933. Elle a 24 ans, lui 26. Ils vivent six mois d’une relation passionnée. Elle tombe enceinte, avorte, se lasse, le quitte. D’autant plus qu’entre-temps Paolo, le jeune homme avec qui elle vivait à Rome au moment de la rencontre avec Moravia, se tire une balle dans la tête, par jeu autant que par désespoir devant la volage. Il commence alors à lui écrire: trente lettres en tout, en français, du 25 mai 1934 à novembre 1947. 

Ces lettres, inédites, dormaient à Vevey dans les archives de Lélo Fiaux. La fondation qui porte son nom, rattachée au Musée Jenisch qui conserve ses peintures, dessins et photographies, a eu la bonne idée de valoriser cet échange à travers à la fois un livre illustré publié cette semaine par les Editions Zoé et une exposition qui s’ouvrira en décembre à Vevey.

Les lettres de Lélo Fiaux à Moravia n’ont jamais été retrouvées. Ce dialogue à sens unique n’en est que plus poignant et l’histoire d’amour avortée plus frustrante. Ces lettres ne nous étaient pas destinées: c’est avec émotion que l’on pénètre dans l’intimité d’un couple, d’un homme, qui offre ici trois visages.

Celui d’abord d’un amoureux déçu, du coup parfois injuste. Lélo est la «première femme», lui écrit-il, qui lui inspire «le sentiment d’amour». Il signe ses lettres de l’acronyme Amor ou A-Mor. Il se blâme: «Ma grande faute a été évidemment de ne pas me marier avec toi», ou «J’ai peut-être été dur, bourgeois comme tu dis», autant qu’il la blâme, regrette de l’avoir encouragée à avorter. Il lui assène, comme pour s’en convaincre lui-même, qu’il est «le seul homme» qu’elle a «vraiment aimé». Le visage d’un intellectuel inquiet, ensuite, pris dans la tourmente européenne des années 30 et 40. Moravia se sent traqué par le fascisme, déchiré entre l’amour qu’il a pour son pays, l’Italie, et le besoin vital de fuir. Celui, enfin, d’un homme de son temps, macho, incapable de comprendre la modernité absolue de Lélo, hippie avant l’heure qui vit la vie de bohème entre Rome, la Suisse ou Tahiti, du coup moralisateur: «Tu es faible devant la vie (…) Lorsqu’on aime, il faut avoir la force de passer à travers les difficultés (…) D’ailleurs tu apprendras tout cela de toi-même.»

Ses mots à elle, il faut peut-être les imaginer à travers le regard qu’elle pose sur Moravia: Lélo photographie Alberto, peint Alberto. On le voit appuyé contre un mur dans la campagne, assis feuilletant un album de Töpffer, ou en costume, les cheveux tirés en arrière. Toujours, ses lèvres serrées, amères, presque pincées, offrent un contraste saisissant avec la Lélo fantasque, souriante, sensuelle sous le soleil ou jouant de la guitare plus tard à Tahiti. Ces deux-là étaient faits pour se fasciner mutuellement, s’attirer, se heurter, mais pas pour s’entendre.

Moravia épouse sa compagne Elsa Morante en 1941, la quitte en 1962, la remplace par une autre écrivaine, Dacia Maraini. Dans les années 80, désormais monument de la littérature européenne, inventeur du roman existentialiste avant Sartre ou Camus, il tombe amoureux d’une jeune écrivaine espagnole de quarante-cinq ans sa cadette, Carmen Llera. Il lui dédie La chose en 1983, l’épouse en 1986, décède en 1990. Quant à Lélo, elle peint, voyage, achète en 1954 une petite maison à Saint-Saphorin. Et meurt subitement à Vevey en 1964.

«Lettres d’amour à Lélo Fiaux». D’Alberto Moravia.
Editions Zoé, 112 p. 
«La rencontre d’Alberto Moravia et de Lélo Fiaux». Exposition. Musée Jenisch, Vevey. Du 4 décembre au 29 mars. Lecture des lettres de Moravia par Cédric Leproust, Musée Jenisch, Vevey, le 4 décembre à 19 h, précédée à 18 h 30 de la remise du Prix de la Fondation Lélo Fiaux 2014 à Silvia Buonvicini.

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