Première.«Dessine-moi un mouton», insistait l’enfant. Le compositeur français Michaël Levinas lui a dessiné un opéra, initiatique et merveilleux, donné en création mondiale à Lausanne.
Antoine de Saint-Exupéry disparaissait il y a septante ans. Fou d’aviation – il volait en planeur bien avant de conduire une voiture –, Eric Vigié, directeur de l’Opéra de Lausanne, ne pouvait laisser passer cet anniversaire sous silence. Il a voulu créer un opéra sur l’enfant mystérieux et a cherché le compositeur capable de rendre compte de la musique propre à ce récit habité de désert, de solitude, de vide, de planètes, d’interrogations et de rencontres. «Il ne s’agissait pas d’en faire une comédie musicale, il en existe déjà une, mais d’enrichir le récit d’une pensée musicale profonde et créative.» La personnalité de Michaël Levinas s’est imposée: «Pianiste, compositeur, il a un sens et une éducation du son rares et, en plus, une magnifique expérience lyrique», relève Eric Vigié toujours sous le choc de La métamorphose, composée d’après le récit de Kafka en 2010. On peut encore citer Les nègres d’après Jean Genet, créés en 2004. «Michaël est un musicien complet d’une vaste culture et d’une grande intelligence.» Avec lui, le Petit Prince allait trouver un partenaire en étonnement, en questions, en voyage de planète en planète – un aventurier des sons.
Né en 1949, Michaël Levinas, fils du philosophe Emmanuel Levinas, a étudié dans la classe d’Olivier Messiaen puis, avec Tristan Murail et Gérard Grisey, fondait au début des années 70 le courant dit «spectral» qui visait à travailler les timbres, jouer de leurs paramètres, en élargir la palette et les couleurs au moyen de techniques instrumentales ou par l’électroacoustique. Cette mobilité et la spatialisation du son participent à la beauté d’une partition qu’Arie van Beek, chef hollandais rompu à la pratique d’œuvres contemporaines à qui revient de diriger la série de représentations en Suisse et en France, n’hésite pas à qualifier de «chef-d’œuvre»: «La manière innovante d’utiliser les instruments génère des moments de musique extraordinaires et le recours à des effets sonores spéciaux est très bien pensé: Michaël Levinas est un inventeur avec lequel le processus de création est passionnant à vivre!»
Autre motif d’enthousiasme: la manière dont les protagonistes sont vocalement campés. «Là encore, tout concourt à faire vivre chacun d’eux de manière spécifique grâce à une écriture complexe, parfois traditionnelle, parfois graphique, qui garantit une forme de conversation à la fois naturelle mais typée, porteuse de sens.»
Metteur en scène, Lilo Baur s’est embarquée elle aussi, à corps perdu, dans cet univers musical onirique, émotionnel, qui cisèle les dialogues du récit original: «On reconnaît le texte, les phrases phares du Petit Prince, mais le chant composé par Michaël Levinas, libre et inventif, permet aux interprètes d’aller encore au-delà des mots et laisse une grande place à la corporalité.»
Les Editions Gallimard et la Fondation Saint-Exupéry ont rapidement donné leur accord à cette adaptation lyrique confiée à Michaël Levinas. «Les seules conditions, précise Eric Vigié, étaient que le contenu du récit soit respecté et que les personnages s’inspirent des dessins de leur auteur.» Le Petit Prince version opéra devient ainsi un univers scénique où se côtoient le familier et l’inouï, des êtres issus d’un livre ancien et des sons voyageurs d’aujourd’hui.
Opéra de Lausanne. Du me 5 au me 12.
De Michaël Levinas. Avec l’Orchestre de chambre de Genève. www.opera-lausanne.ch
Reprises à l’Opéra de Lille, au Théâtre du Châtelet à Paris, à l’Opéra de Wallonie à Liège ainsi qu’au Grand Théâtre de Genève en janvier 2015.