Rencontre. Le Genevois de 28 ans est la révélation des «Nègres», pièce de Jean Genet mise en scène par Bob Wilson à Paris. Une reconnaissance pour un jeune homme au parcours peu banal.
Avant Paris, il y a eu Genève et, avant encore, l’Afrique, celle des Grands Lacs, entre Rwanda, Burundi et République démocratique du Congo, des pays marqués par leur lot de tragédies. Toute une jeune vie et des mystères. Gaël Kamilindi a 28 ans. Il est comédien et joue actuellement à l’Odéon, à Paris, dans Les nègres, la pièce de Jean Genet mise en scène par l’Américain Robert Wilson, star mondiale du théâtre. Il y apparaît dès le début et la conclut en quelque sorte, dernier personnage en scène: ce bel innocent est Village, l’assassin, une mauvaise graine avec des sentiments. La critique parisienne parle de lui comme d’une «révélation». Vrai que son rôle, son jeu et sa plastique accrochent. Une star, notre star, est en train de naître sous nos yeux.
Les nègres? Une commande passée à Jean Genet, «une pièce qui serait jouée par des Noirs». Publiée en 1948, représentée la première fois en 1959, elle se veut «une clownerie» sur un sujet sérieux: les effets de la colonisation. Des Noirs s’emparent du sujet et font tour à tour les Noirs et les Blancs. A la fin, ils sont ce que le colonisateur a fait d’eux. Bob Wilson transpose le récit dans un genre de cabaret où règne une ambiance jazzy et colorée. Les personnages ont un côté un peu zazou. «Bob voulait une vision américaine des Noirs, quelque chose de Las Vegas, de music-hall», explique Gaël, qui a suivi les indications du maître, «très exigeant», données en anglais et traduites par son collaborateur artistique, Charles Chemin. C’est grâce à celui-ci, qui l’avait repéré, que le comédien suisse a été engagé pour ce spectacle.
Jouer sous la direction de Bob Wilson est une chance énorme, rapport, déjà, à la cote du bonhomme. Gaël a cette chance, mais il n’en paraît pas impressionné pour autant, comme si les épreuves traversées et en quelque sorte sublimées sur les planches avaient fait de lui l’égal, en existence, de personnes plus renommées. C’est ce qui s’appelle avoir de l’assurance. Si Patrice Chéreau n’était pas mort, Gaël aurait joué dans Comme il vous plaira de Shakespeare, que le metteur en scène français, l’un des plus illustres, préparait l’an dernier. Après Les nègres, il ira rejoindre Jean-Pierre Vincent, autre grand nom du théâtre, qui monte En attendant Godot, l’incontournable de Samuel Beckett. Depuis son diplôme de comédien du Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris, obtenu en 2011, Gaël Kamilindi a «toujours joué», à l’exception, dit-il, d’une période de chômage début 2014, et encore, c’était en raison du décès de Patrice Chéreau.
Les bonnes fées, dans l’histoire de ce jeune homme né en 1986 dans la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) d’une mère rwandaise tutsie et d’un père israélien, sont évidemment des femmes. Claudine, d’abord, sa mère biologique et sa «maman» pour toujours, morte en 1991 de maladie; Béatrice, une tante avec qui il a vécu ensuite au Burundi; puis Francine, une autre tante, celle de Genève, où il est arrivé à l’âge de 7 ans, trouvant refuge sur le sol helvétique. «Mes souvenirs sont un peu flous, raconte Gaël. Je suis parti du Burundi pour la Suisse fin 1993, quelques mois avant le déclenchement du génocide au Rwanda voisin.» Francine, aide-soignante à Genève, auprès de personnes en fin de vie notamment, l’a adopté. Elle est sa «mère». Il continuera de grandir avec les enfants de Francine, deux grands frères et deux petites sœurs. C’est un oncle par alliance qui deviendra son «père».
Car son géniteur ne l’a pas reconnu. «Il était diamantaire et avait rencontré celle qui deviendrait ma maman au Zaïre», confie le comédien. Quand l’oncle meurt, Gaël, qui a 17 ans, part à la recherche de son père biologique. Il retrouve sa trace, échange des mails avec lui et le voit en chair et en os pour la première fois en 2012, sans que cela aboutisse à une reconnaissance de paternité. Ce père, apprend Gaël, a une fille. Chose à peine croyable, elle réside à La Chaux-de-Fonds. Gaël et cette sœur providentielle, avec qui il s’entend bien, comparent leur ADN. Le test est concluant: l’homme qui nie l’évidence et vit aujourd’hui en Angola est bien son vrai père.
Résonances africaines
Ces investigations sont menées en parallèle avec une vie très tôt consacrée au théâtre et bercée par une éducation que l’on pourrait qualifier d’alternative, faite d’éveil et de connaissance de soi. Démarche qui, pour Gaël, l’année de ses 15 ans, prend la forme d’un voyage de dix mois en mer sur un deux-mâts, en compagnie d’autres jeunes de son âge, sous la houlette de trois éducateurs. Enfant, il habite l’Ilot 13, un quartier un peu bohème, situé «derrière la gare», au bord du parc des Cropettes, un mini-Central Park squatté par une faune d’artistes et faisant le bonheur des familles.
«Le théâtre, dit-il, c’était pour être avec mes copains, Max et Tadeo.» A 12 ans, il entre au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre de Genève. Il y suit des cours d’impro, pendant cinq ans, le mercredi après-midi. En 2006, bac en poche, il intègre les classes préprofessionnelles du Conservatoire d’art dramatique de Genève, dirigé par Anne-Marie Delbart. Deux ans plus tard, il se présente au concours d’entrée du prestigieux Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris. Il y est pris, en même temps que Tamaïti Torlasco, une Suissesse passée également par le Conservatoire de Genève et avec laquelle il partage un appartement près du Père-Lachaise.
Sur scène, dans Les nègres, lui, Village, forme avec Vertu, une prostituée, un couple d’amoureux. Vertu, à la ville, s’appelle Kayijé Kagamé (sans lien de parenté avec le président rwandais). La mère de Kayijé et la maman de Gaël, Claudine, allaient ensemble, petites, au Rwanda, à la même école.