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«Le MEG sera le musée des possibles»

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Jeudi, 23 Octobre, 2014 - 05:58

Interview. Le nouveau Musée d’ethnographie de Genève ouvre le 31 octobre. Mais le mot musée n’est-il pas daté? Et qui comprend le terme ethno­graphie? Son directeur, Boris Wastiau, répond.

Enfin! Après quatre ans de travaux, le nouveau bâtiment du Musée d’ethnographie de Genève pourra être découvert dès le 31 octobre. Le MEG dispose désormais d’un superbe outil de travail et d’animations culturelles. Fallait-il encore parler d’ethnographie, terme élitaire et nébuleux, alors que d’autres institutions du même type optent pour des appellations plus populaires? Boris Wastiau, le directeur du MEG, évoque ces enjeux qui recouvrent l’identité même du musée genevois.

Le mot musée n’est-il pas dépassé? Aujourd’hui, les nouvelles institutions évitent le terme, trop associé au passé, à la poussière, à l’interdiction de parler trop fort…

Mon travail est plutôt de redonner à ce mot ses lettres de noblesse. Le musée, c’est un enjeu patrimonial. Il est lié à la notion de collection, et à la transmission de celle-ci de génération en génération, à son entretien, son étude, sa présentation. Nous allons à l’encontre de la connotation vieillotte du mot musée avec notre slogan: «Vous n’imaginez pas tout ce qu’il est possible de faire au MEG». Nous proposerons des expositions permanentes et temporaires. Mais aussi une série d’activités culturelles et scientifiques. Des cours, des conférences, de la musique, de la danse, des performances, de la littérature orale, des ateliers, y compris des ateliers culinaires, des anniversaires pour les enfants… Ce sera un lieu des possibles et non des interdictions. On pourra y parler fort, y prendre des photos, y manger, y circuler avec des poussettes…

Et le terme d’ethnographie? Est-il toujours d’actualité?

Nous avons au MEG une démarche anthropologique, au sens des sciences de l’homme. Ces sciences englobent l’ethnologie, mais aussi l’histoire, la muséologie, l’histoire de l’art, bref, tout ce qui converge vers l’étude de l’humain dans ses aspects sociaux et culturels. Certes, les termes ethnographie et ethno­logie sont en un sens désuets. Je ne connais pas d’université qui donne encore un cours d’«ethnographie». Même les Français, qui tenaient à dire «ethnologues» au lieu d’«anthropologues», qui faisait trop américain, ont abandonné cette idée.

Personne ne sait exactement ce qu’est l’ethnographie, non?

Sans doute. La plupart de nos visiteurs n’en ont pas la moindre idée. Mais ils sortiront du MEG en se disant «l’ethno­graphie, c’est ce qu’on vient de voir». Voilà l’essentiel. Nous avons réfléchi sur la dénomination du musée, avec les autorités. Mais sans suite. Le consensus était plutôt conservateur. Il fallait garder le nom de MEG. L’attachement à ce musée, à son nom et à son emplacement dans la ville est très grand à Genève. Je me suis engagé à poursuivre cette tradition en faisant mieux, plus grand et plus animé.

Ethnographie, ethnologie, anthropologie, on s’y perd…

Le mot ethnographie garde sa pertinence étymologique. Il correspond à ce que nous faisons toujours: la collecte de données sur le terrain et l’observation participante. L’ethnologie est plutôt l’étude comparée des peuples; cette étude utilise les informations données par l’ethnographie. L’anthropologie, aujourd’hui, a une activité théorique basée sur les connaissances ethno­graphiques et ethnologiques. Comment comprendre l’humanité, pourquoi les sociétés se développent puis disparaissent, comment se forment les Etats… Mais peu importent les mots que l’on donne à nos activités. Il faut s’en tenir à nos fondamentaux qui sont le travail de terrain, l’étude et l’exposition des collections, communiquer avec le public, faire passer des idées, ouvrir les enfants et les adultes à la richesse des cultures du monde, pour qu’ils comprennent qu’il existe d’autres manières de vivre en société.

D’autres valeurs?

Oui. J’aimerais que ce musée soit celui de l’anthropologie des valeurs. Pour faire comprendre que celles-ci peuvent être différentes d’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre. Il est beau de dire qu’il faut respecter les autres cultures, comme on le fait depuis cinquante ans. Mais il est encore plus intéressant de saisir qu’il existe d’autres valeurs, y compris celles qui sont en opposition avec les nôtres, y compris celles qui nous semblent inacceptables. On a fait du monde une espèce de lieu idéal et gentil, plein de respect universel. Il ne faut pas se voiler la face. Qu’est-ce qui fait l’actualité de tous les jours aujourd’hui? Ce sont des questions de religion. On nous explique qu’il s’agit de gens qui usurpent la religion. Reste que des personnes sont en train de mourir pour des valeurs auxquelles elles croient. N’oublions pas que la plupart des cultures du monde ont un fondement religieux. L’important est dès lors de bien les comprendre. C’est le rôle de notre musée.

Pourquoi pas un musée «des cultures du monde»?

On trouve cette appellation en Allemagne ou en Scandinavie. Mais cela implique que l’on parle du monde, mais non de l’Europe! Or ici, on réfléchit sans exclusive.

L’idée d’un musée encyclopédique, à l’immense contenu hétérogène, n’est-elle pas aussi datée?

Notre champ disciplinaire, l’anthropologie, est bien circonscrit. Notre contenu est beaucoup plus structuré que celui d’Internet. Vous avez toutes les thématiques sur Wikipédia, mais vous n’avez pas d’accès à la culture matérielle, aux vrais objets d’art et d’artisanat. C’est bien cette matérialité qui fascine le public. Pendant toute la crise économique, qu’est-ce qui a continué à marcher? Les objets manufacturés, comme l’horlogerie, le luxe, l’art. L’objet unique, le fait main continuent à avoir un appel fort.

Pouvez-vous tout montrer?

Nous avons par ici un complexe du regard. On n’aime pas les hiérarchies. On peut ne pas aimer des pièces réalisées à partir d’ossements humains. On hésite à dire que tel objet est plus exceptionnel qu’un autre. Ou à mettre en avant le fait que nous avons ici des collections exceptionnelles. C’est un handicap, d’autant que nous avons un public cosmopolite qui ne comprend pas cette modestie, ou cette réserve. Je suis pour mettre en valeur ce masque iroquois ou cette coupe Ming. Parce qu’ils sont importants. Parce qu’on peut être fier qu’ils appartiennent à la collectivité genevoise plutôt qu’au Metropolitan de New York.

Genève, c’est aussi 194 nationalités, non?

Nous offrons avec ce nouveau musée 2000 m² pour les cultures du monde. Contre environ 50 000 m² à Genève pour les cultures de la Suisse et un peu de l’Europe. Finalement, c’est très peu pour une ville aussi internationale que Genève.

La définition même du MEG restera-t-elle figée?

Certainement pas. Un musée, c’est un processus. Dans cinq ans, il ne sera plus le même qu’aujourd’hui. Nous aurons effectué des découvertes dans nos collections qui nous encourageront à nous remettre en question. Surtout, nous aurons eu le retour du public par rapport à ce que nous nous apprêtons à lui montrer.


Boris Wastiau

Né en 1970 en Belgique, passé par l’Université libre de Bruxelles, l’ethnologue a collaboré au Musée royal de Tervuren. Il est entré au MEG en 2007 comme responsable de l’Afrique et de l’Amérique avant d’en prendre la direction en 2009.

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Nicole Zermatten / Ville de Genève
Ethnologisches Museum Berlin
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