Interview. A l’occasion de la sortie de «Babel», un somptueux double album enregistré avec The Delano Orchestra, l’Auvergnat parle de son rapport à la musique et à l’industrie du disque.
A peine a-t-on épuisé un disque de Jean-Louis Murat que déboule un nouveau disque de Jean-Louis Murat. Le Français est toujours au charbon, il compose inlassablement depuis le début des années 80, enregistre en quelques jours des albums essentiels, là où d’autres mettent des mois à accoucher de quelques titres sans âme.
Un an et demi après Toboggan, un disque intime et mélancolique, Murat éblouit avec Babel, un double album ample et solaire gravé en compagnie de The Delano Orchestra, une fanfare folk de Clermont-Ferrand. Là, à côté de chez lui, dans cette Auvergne qu’il aime tant, il a trouvé ce qu’il était naguère allé chercher du côté de Tucson et New York (Mustango, 1999) ou Nashville (Le cours ordinaire des choses, 2009). Joint dans une chambre d’hôtel parisienne, le musicien est fidèle à lui-même, sincère et authentique.
Travail de groupe
«J’aime bien me retrouver avec des musiciens. Et c’est vrai qu’à Tucson, New York et Nashville, c’était comme ça. Là, je me suis retrouvé à Clermont-Ferrand, et c’était la même ambiance, un disque fait avec des musiciens alors que je travaille souvent seul. S’il n’y avait pas la crise du disque, je ferais tous les albums comme ça. Mais ça coûte une fortune. Les artistes tiquent quand il s’agit de parler de ça, mais moi je m’en fous: les raisons économiques sont très importantes. Pour Babel, il n’y avait pas de frais d’hôtel, pas de restos, c’était donc facile de rentrer dans le budget, comme on dit. Lorsque j’ai un groupe souple sous la main, je peux avancer très rapidement.»
Enregistrement
«J’avais des chansons complètes, très structurées, avant d’entrer en studio. J’ai commencé par des mélodies piano-voix et guitare-voix, avant de travailler deux-trois jours, chez moi, avec le bassiste et le batteur, afin de mettre en place les rythmiques. C’est alors qu’on est entrés en studio avec les quatre autres musiciens. Au départ, il y a un gros travail personnel, car je n’aime pas que le studio soit un lieu où l’on cherche. On a alors tenu le rythme, avec plus de deux titres par jour, et en plus on finissait à 18 heures, c’est vous dire… Je m’étais efforcé de faire des chansons assez simples, des sortes de blues à trois accords, pour qu’on ne passe pas un temps fou en palabres. Comme les musiciens de The Delano Orchestra savent lire et écrire la musique – ils ont tous fait le Conservatoire –, ça a été extrêmement facile pour eux.»
Production
«Je suis d’une nature impatiente, je pense que la chanson est un art extrêmement simple, voire simpliste, et qu’il n’y a pas besoin de tergiverser. Je ne vois pas pourquoi, si dans les années 60 on enregistrait un album dans la journée, il nous faudrait aujourd’hui plus d’une semaine. Si Tolstoï a écrit Anna Karénine en six mois, pourquoi U2 a besoin d’un an pour faire douze chansons minables? Ça participe d’une sorte de fanfaronnade rock, c’est vraiment se foutre du monde. U2, c’est de la blague. Les Américains appellent ça du too much thinking. Sur trop de disques, on entend trop les mecs réfléchir. Moi, j’aime bien les albums où l’instinct jaillit et n’est pas encombré par trop de réflexions. Les producteurs sont souvent puissants, mais il faut savoir qu’ils sont payés au projet et à la journée. J’aurais bien aimé bosser avec quelqu’un comme Danger Mouse, mais le mec, il lui faut au minimum trois mois en étant payé tous les jours. Si je lui dis qu’un disque, pour moi, ça se fait en quatre jours, il ne veut pas le faire.
Les producteurs ont souvent des arrangements avec des studios, leur principe est donc de les remplir. Ce sont des businessmen, ils pensent d’abord à combien ils prennent. Ça n’a rien à voir avec ce que moi j’essaie de faire. C’est pour cela que je me retrouve souvent à travailler tout seul, à faire mes productions tout seul. Cela m’est arrivé de collaborer avec des producteurs anglais ou américains, mais ça a toujours fini à la poubelle vu qu’en trois jours on n’avait même pas enregistré une caisse claire. Or moi, en trois jours, j’enregistre un album entier. Il ne faut pas me prendre pour un idiot.»
En marge
«Je trouve qu’on est bien tranquille dans la marge. Déjà, j’habite en Auvergne, j’y suis donc géographiquement. Je n’ai pas envie de marcher au milieu de la route avec tout le monde. La marge, c’est la nature de tout ce que je suis, de tout ce que j’aime, de tous les artistes que j’apprécie, comme J.J. Cale, Tony Joe White ou Bill Withers. Il y a beaucoup de chanteurs qui travaillent pour assurer leur train de vie, ce n’est pas mon cas. Je préfère la liberté. J’ai trois jardins, je vais aux champignons, je fais des confitures, je vis comme un campagnard, tranquille dans ma ferme. Tout ça pour dire que cela me donne un certain détachement. Il y a la vie du monde, la vie du disque, la crise de ceci et de cela, mais j’essaie de faire abstraction de tout ça. Avec l’argent que ramène chaque disque, j’en fais un autre, et qui m’aime me suive.»
Jean-Louis Murat & The Delano Orchestra, «Babel». [PIAS]/Musikvertrieb.
En concert le 6 mars 2015 à Monthey, Théâtre du Crochetan.
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