Théâtre. Vincent Macaigne, nouveau visage du cinéma français, est aussi un metteur en scène porté par le cri et la rage. A Vidy, il réadapte «L’idiot», de Dostoïevski, qui l’avait fait connaître en 2009. Parce qu’il y a urgence et que l’idiotie peut nous sauver.
Le grand plateau de Vidy est transformé en boîte de nuit. C’est le filage d’Idiot! Parce que nous aurions dû nous aimer. Précisément: la scène de l’anniversaire. Un gros lapin patibulaire gigote, un homme nu en sort. Suivent la musique de Nirvana, de la mousse qui tombe des cintres, un rayon laser. Macaigne interrompt constamment un acteur qui parle de Dieu, cherche le bon éclairage, le ton juste. Il s’épuise, court dans tous les sens, renverse une table, s’excuse trois fois. La durée du spectacle, pour le moment, est estimée à trois heures et demie. C’est une grosse machine. Un navire. L’image lui plaît, un navire dans la tempête. Il ne veut pas lâcher, ne lâchera pas. Même si l’équipe ne semble pas toujours le comprendre.
Au restaurant, le lendemain, Vincent Macaigne commande deux thés noirs presque en même temps. Suivront trois expressos doubles. Il est midi, à Lausanne, il doit se réveiller. A 35 ans, l’acteur et metteur en scène français (d’origine iranienne par sa mère) dort peu et se consume dans le travail. Il n’a plus qu’un mince filet de voix. Un look de mystique russe, grunge et underground. On n’a pas tous les jours la chance de partager la table d’un homme aussi stimulant. Il a beaucoup tourné ces dernières années pour le jeune cinéma français, excelle dans le rôle de trentenaires un peu losers, doux et romantiques (comme dans 2 automnes 3 hivers, de Sébastien Betbeder). Sur scène, il peut être dur, opiniâtre et violent. Mais toujours échevelé. Il est dans la survie, l’urgence. «Ce spectacle, c’est comme une maison en feu. Le public est pris là-dedans. On n’assiste pas à l’incendie de loin, on est dedans. Mais c’est très subtil à mettre en place. Je suis inquiet, j’espère que nous y arriverons…»
Boxe et mélancolie
Pourquoi monter L’idiot une seconde fois, cette pièce qui l’avait fait connaître en 2009? Parce que le spectacle parle de politique, d’humanité, d’amour, et qu’on en a furieusement besoin aujourd’hui, en 2014, devant la montée des extrêmes. «Il me semble que L’idiot est le livre qui montre le mieux la naïveté mise à bas. L’idiotie, ici, ce n’est pas la bêtise. C’est de croire qu’on peut être entendu, compris.» Pour le metteur en scène, il y a urgence à convaincre. «Il y a quelque chose à sauver, même maintenant, en France, où nous vivons une telle désillusion politique.» Même si la pureté est incompatible avec une société cynique.
Il trouve la Suisse plutôt bourgeoise. Lui, sanguin, s’épuise à vouloir injecter son chaos dans la mélancolie lémanique. «Ce spectacle, c’est l’équivalent d’un match de boxe. Il faut faire mieux qu’il y a six ans. Mais je ne pense pas que Vidy soit habitué à ce genre de spectacle. L’équipe technique me prend pour un fou.»
L’idiot, le livre, a été écrit en Suisse, et y fait souvent référence. Or, le prochain spectacle sur lequel planche Vincent Macaigne a beaucoup à voir avec l’imaginaire helvétique: La montagne magique, de Thomas Mann. «Avec La montagne magique, je veux raconter le silence, la longueur. Un îlot de fausse tranquillité, dans un monde qui explose. Cette impression qu’on sera préservé du monde. C’était la Suisse d’alors, c’est l’Europe d’aujourd’hui.» Aussitôt, le metteur en scène se lève, se met à courir, il est de nouveau en retard. Il aimerait qu’on le suive. De loin, il nous adresse un salut de la main, en montant de justesse dans le bus qui le conduira au théâtre. Il y arrivera, à l’arraché, dans la douleur; à rattraper notre pureté enfuie.
«Idiot! Parce que nous aurions dû nous aimer»
De Vincent Macaigne. Théâtre de Vidy, Lausanne.
Du 11 au 21 septembre. Puis en tournée en France.