Analyse. «Nos étoiles contraires», phénomène de société sur grand écran adapté du best-seller de John Green, est pour Marcela Iacub une incitation moins à l’amour éternel qu’à la vie domestique.
Marcela Iacub
Et si, au lieu d’aimer passionnément nos chiens, nous vivions comme eux? Si, outre les promener, leur acheter des croquettes et les câliner, nous nous donnions pour objectif de faire ressembler notre existence sur Terre à la leur? Voilà les questions métaphysiques que Nos étoiles contraires, de Josh Boone – adapté du best-seller mondial de John Green –, pose au public d’adolescents auquel il s’adresse. Hazel (Shailene Woodley) et Augustus (Ansel Elgort) ont respectivement 17 et 18 ans. Ils tombent follement amoureux l’un de l’autre alors qu’ils sont atteints d’un cancer inguérissable.
Même si les corps de ces deux créatures sont condamnés et terriblement abîmés (Augustus a été amputé d’une jambe et Hazel se promène avec une machine qui l’aide à respirer), leur beauté est intacte. Pourtant, pendant les trêves que lui laissent ses attaques, la jeune fille hésite à se livrer à l’amour qu’elle ressent. Elle a peur de faire souffrir Augustus lorsqu’elle mourra. Ce dernier hésite lui aussi, mais d’une autre manière: sa courte vie ne lui permettra pas de laisser des traces ineffaçables de son passage sur Terre. A ses yeux, l’amour n’est pas un exploit de nature à effacer l’oubli. Après sa mort, hormis ses proches, personne ne se souviendra qu’Augustus a vécu.
Vaincre la peur de l’amour
Or, petit à petit, la belle Hazel s’ouvre à l’amour en se libérant des craintes de l’avenir noir que les étoiles lui réservent. C’est alors que son jeune partenaire lui annonce qu’il mourra avant elle. Dans l’intervalle qui s’ouvre entre l’explosion de l’amour et la mort, la jeune héroïne réussit à convaincre son partenaire qu’il se trompe au regard du sens de la vie.
Selon Hazel, ce qui compte, ce ne sont pas les exploits artistiques, politiques, sociaux que l’on réalise mais les rapports d’amour que l’on tisse avec les êtres proches. Non pas avec l’humanité ou avec une communauté quelconque, mais avec deux, trois ou quatre personnes de notre entourage. Réussir sa vie, c’est donc réussir cet amour-là.
Pourquoi? Hazel répond à cette question plus ou moins ainsi: après la fin des temps, lorsqu’il n’y aura plus aucune humanité sur Terre, on ne se souviendra pas d’Albert Einstein ou de Charlie Chaplin. Il est donc vain, stupide et inutile de vivre pour laisser des traces. Vivre pour aimer deux, trois ou quatre personnes et pour être aimé par elles est en revanche beaucoup plus intéressant: c’est une manière d’assumer que la vie humaine est un coup de couteau dans la mer. Puisque Dieu est mort, le but de la vie ne peut être autre que celui de ressentir des émotions amoureuses envers nos proches.
Cette romance larmoyante ne cherche ainsi de fait pas à parler du cancer des adolescents mais de la condition humaine. Et elle nous dit plus ou moins ceci: toute existence qui vise autre chose que le bonheur domestique est erronée, trompeuse, prétentieuse. Repliez-vous sur votre conjoint, sur vos parents et sur vos enfants. Incluez aussi vos chiens et vos chats, et vous serez heureux même si vous mourez demain.
Une source de malheur et de souffrances
On pourrait avancer au moins trois objections à cette espèce de philosophie pour animal de compagnie. La première, c’est qu’Einstein et Chaplin n’ont pas inventé des formules mathématiques et des personnages inoubliables pour laisser des traces, mais pour éprouver des émotions aussi fortes, voire plus fortes encore, que celles qui naissent de l’amour. La deuxième, c’est que dans des sociétés comme la nôtre ce sentiment d’amour n’est pas le fleuve tranquille que ce film dépeint. Bien au contraire.
L’amour est source de tant de malheur et de souffrances, de tant de violence et d’ennui que les êtres humains sont obligés de s’en détourner pour trouver des plaisirs ailleurs. Enfin, si c’était véritablement ainsi, si l’humanité pouvait vivre et mourir comme Hazel et Augustus, elle se transformerait en l’une des nombreuses races de l’espèce canine. On sait que les chiens ne vivent que pour l’amour et par l’amour de leurs maîtres et de leur entourage. Il faut avouer qu’une telle utopie est terriblement tentante: jusqu’à maintenant, l’humanité s’est surtout fait remarquer par sa capacité illimitée à la destruction et à l’assassinat. Si nous réussissions à devenir aussi doux et aimants que de gentils chiens, cela n’aurait rien de déshonorant. Bien au contraire: nous vivrions au paradis.
Or, tant que la science ne trouve pas une méthode pour nous transformer en des êtres aussi angéliques que des teckels ou des caniches, l’injonction à nous replier sur nos proches semble un plaidoyer pour fermer nos yeux et nos oreilles aussi bien au malheur qu’à la beauté du monde. Pour devenir petits, mesquins et pour attaquer les intrus. Pour rester tranquilles en nous vautrant dans notre niche après un bon repas et une belle promenade en compagnie de créatures aussi misérables que nous. Pour obéir aveuglement à l’ordre voulu par les maîtres du monde. Pour ne pas leur demander des explications ou leur dire non. En bref, pour que, loin de nous rendre plus puissants, l’amour nous transforme en des chiens méchants.
«Nos étoiles contraires». De Josh Boone. Avec Shailene Woodley, Ansel Elgort, Willem Dafoe. USA, 2 h.