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Pierre Bordage: génial gourou de la SF

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Jeudi, 28 Août, 2014 - 05:55

Anticipation. Le romancier, pointure de la science-fiction française, publie un conte futuriste sur la violence et la guerre qu’il aura mis dix-huit ans à achever. Rencontre à Paris, avant sa venue au Livre sur les quais, à Morges.

Avec près de 60 livres publiés en vingt ans, Pierre Bordage est devenu une sommité de l’imaginaire français. Ses space operas et ses cycles romanesques de science-fiction sont des best-sellers. Le Vendéen né en 1955, installé à Nantes, aborde les styles avec une naïveté assumée, fuyant les étiquettes. Il fait le voyage à Morges pour présenter son dernier livre, Le jour où la guerre s’arrêta, un conte qui fait figure de Petit Prince contemporain. Un enfant mystérieux et amnésique se retrouve sur Terre. Il est doté de pouvoirs fantastiques, notamment celui de faire taire les armes pendant une trêve planétaire. Ce Candide moderne découvre les hommes et leur violence absurde. Ses questions dérangent. Pourquoi ne prenons-nous pas notre destin en main, s’étonne-t‑il? Pourquoi ne choisissons-nous pas notre bien? Il nous offre la paix, mais nous n’en voulons pas. Loin d’être un récit bien-pensant, ce texte à la simplicité émouvante sait à merveille exploiter les avantages de la fiction: prendre du recul et observer notre monde. Sans sombrer dans le désespoir pour autant.

Comment s’est imposé votre héros, un enfant qui ne sait rien du monde?

C’est notamment un livre qui m’a sidéré, Allah n’est pas obligé, d’Ahmadou Kourouma. La vision de la guerre par un enfant-soldat en Afrique. La suprême forme de la naïveté, d’un regard entièrement libre d’a priori, mais plein d’amour aussi. C’est peut-être cela, la sagesse. J’ai commencé à écrire ce livre il y a dix-huit ans, au tout début de ma carrière. Puis j’ai eu d’autres contrats. Je n’y suis pas revenu jusqu’à mon dernier déménagement, lorsque j’ai trié mes papiers et redécouvert cette ébauche. A l’époque, je n’étais pas assez mûr. Il fallait que je me dépouille de pas mal de choses. La simplicité, c’est la vertu suprême. Dans le conte, pas de fioritures, c’est du direct. On dit les choses telles qu’elles sont. Avant, je me cachais derrière des artifices. Il fallait aussi que je sois prêt à assumer la charge des attaques que l’on pourrait me faire… (Sourire.)

Dans votre livre, chacun est responsable de sa vie, y compris de son malheur. C’est une idée choquante, voire révoltante…

On pourra me reprocher: «Vous dites que les malades sont responsables de leur maladie, c’est insoutenable!» Je suis convaincu que nous nous enfermons dans notre propre malheur. C’est un livre sur l’acceptation de la mort. Avec ce roman, je vais aussi m’attirer une volée de bois vert de la part des lecteurs de science-fiction pure et dure. Ils m’accuseront une nouvelle fois de faire du new age. Tant pis.

Vous-même avez été confronté à la mort de façon brutale, en Inde…

Nous étions en voyage avec ma femme, en 2009. Elle se promenait seule, pendant que j’étais à l’hôtel. Elle s’est fait faucher par une voiture. On m’a dit d’aller à l’hôpital. Je pensais qu’elle était blessée, qu’elle avait une jambe cassée… Et j’ai découvert son corps sans vie.

L’Inde est un pays important pour vous. D’ailleurs, votre héros y rencontre un des seuls hommes doués de sagesse, parce qu’il est conscient de ses limites.

En 1975, le sentiment d’étouffement que j’avais ressenti jusque-là, dans ma vie, a pris fin lorsque j’ai découvert l’Inde. J’y ai respiré un parfum mystique qui m’était familier. C’est un gigantesque bordel, un délire dont personne ne sait comment il fonctionne. Les Indiens ont un don pour recycler le chaos. C’est aussi un pays de l’acceptation.

Vous vouliez vous consacrer à la prêtrise. Mais vous avez bifurqué, pour devenir journaliste sportif, puis écrivain. Quelle est votre conception de la sagesse?

Notre monde a fait le choix de la voie aristotélicienne: le séquençage, le cloisonnement. Pour nous, il n’y a pas de rapport entre les choses, par exemple le corps et l’esprit. On va dans le détail extrême, en oubliant l’ensemble. Je pense à la génétique, par exemple. Je suis plutôt du côté des poètes, qui considèrent que tout est langage, que l’univers est langage. Les religions devraient relier, alors qu’elles divisent. Je suis entré au séminaire à l’âge de 10 ans. J’ai vécu pendant quatre ans cette ambiance malsaine, internat et pédophilie rampante. J’entendais un murmure, une voix en moi. Quelque chose de très apaisant, de mystérieux. J’aurais souhaité que la religion m’aide à vivre ce mouvement mystique. Mais elle a cherché à l’étouffer. Alors j’ai tout plaqué. Plus tard, je me suis intéressé à la méditation transcendantale. Mais je ne fais plus partie de ce mouvement aujourd’hui. Je ne voulais pas verser dans le dogmatisme, oublier le présent, la vie, être dans une idéalisation des choses.

Vous vous reconnaissez dans le qualificatif de «science-fiction»?

Le problème des classifications, c’est que cela empêche des gens de découvrir des œuvres qui sont très riches et pourraient leur apporter beaucoup. Au début, j’ai écrit un space opera sans savoir ce que c’était. Pour moi, la science-fiction est le seul genre à parler du présent. Le décalage dans l’espace-temps permet un effet de loupe sur notre présent. On peut adopter un regard neuf, nous rendre compte que notre vie, ici et maintenant, est magique. Réfléchissez à ce qu’est un corps humain, aux sensations que vous pouvez avoir dans vos mains: tout est magique.

Horaires des signatures de Pierre Bordage à Morges, du 5 au 7 septembre: www.lelivresurlesquais.ch

«Le jour où la guerre s’arrêta».
De Pierre Bordage.
Au Diable Vauvert, 282 p.

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