Rencontre. Le musicien genevois renoue avec l’anglais et l’indépendance après deux disques en français et une expérience en demi-teinte sur la major EMI. «Empress» est un album lumineux.
«Ce nouveau disque raconte un moment de ma vie. J’avais 38 ans quand je l’ai commencé, j’en ai 41 aujourd’hui. Il raconte la façon dont je me perçois, mon histoire, mes doutes, mes euphories, mes rêveries, mais aussi mes moments difficiles. Il marque une étape de ma vie, comme mon premier album, enregistré la nuit dans ma cuisine et qui, en 1996, m’a fait basculer dans une vie d’artiste que je ne pensais jamais avoir.»
Polar est serein, apaisé. Excité aussi à l’idée de retrouver la scène avec un sixième album, Empress, qui marque son retour à l’anglais et à l’indépendance après deux enregistrements francophones pour le compte de la major EMI.
La surprise de ne pas être sacrifié
Lorsque Eric Linder, son vrai nom, devient Polar, l’heure est au néofolk et aux sonorités lo-fi. Il n’en fallait pas plus pour que cet Irlandais arrivé en Suisse à 8 ans ne se fasse instantanément un nom. Après un deuxième album moins artisanal et mélodiquement plus ambitieux, il dévoile en 2002 Somatic, qui le voit prendre des risques en explorant des territoires électro-pop. L’accueil est tiède, ce qu’il ne s’explique pas, même avec le recul. «Quand j’écoute ce disque, je me dis qu’il était juste. Mais les gens ne m’ont pas suivi, ce qui m’a un peu déçu.»
Nouveau virage: à la suite de sa rencontre avec Christophe Miossec germe l’idée d’un album en français dont il écrirait la musique sur des textes du Breton. L’Helvético-Irlandais, qui possède une culture musicale purement anglo-saxonne, relève le défi. Jour blanc est finalement publié en 2006 par Labels, une filiale d’EMI qui se veut plus alternative et pointue. Mais la crise du disque est sans pitié, et les artistes, les uns après les autres, sont licenciés. Sauf lui, qui a la surprise de figurer parmi les rares chanteurs que l’on ne sacrifie pas sur l’autel de la rentabilité. Il est alors transféré de Labels à Virgin, dont le patron, qui n’est autre que le fils d’Enrico Macias, a très envie de travailler avec lui. Mais pour un disque en français.
Polar remet l’ouvrage sur le métier et décide cette fois d’écrire lui-même les textes. «Sur le moment, j’étais heureux qu’on ne m’ait pas rendu mon contrat, mais secrètement j’avais infiniment besoin de refaire un disque en anglais. D’autant plus que la dégringolade d’EMI a continué, et que je me suis retrouvé à travailler avec des gens à l’avenir incertain qui attendaient la première occasion pour quitter le navire. Mon disque French Songs est sorti dans ce contexte difficile. J’avais envie d’y croire, mais je suis sorti frustré et un peu abîmé de cette aventure dans laquelle j’ai mis beaucoup d’énergie.»
Mélancolie folk, envolées pop
Polar décide alors de faire table rase et de repartir de zéro, sans aucun plan et surtout sans l’appui – ni les possibles pressions – d’une maison de disques. Il redevient son propre producteur et commence à travailler à de nouvelles chansons. Il retrouve ses fondamentaux en même temps que l’anglais, sa voix délicieusement fissurée, cet insondable vibrato qu’il avait perdu en passant au français. «Empress marque mon retour à un univers personnel, sans concession.»
Enregistré dans une salle de bal valaisanne après avoir été lentement façonné entre la France voisine et le chalet familial, ce sixième album est de ces disques qui irradient dès la première écoute, qui obsèdent et vous filent la chair de poule. Arrangements soyeux, mélodies solaires, mélancolie folk et lyrisme pop: on sent le plaisir retrouvé, la spontanéité, l’envie d’aller de l’avant. Polar est mort, vive Polar.
«Empress». De Polar. Two Gentlemen/Irascible.