Festival. Pour sa cinquième édition, Le livre sur les quais met en lumière le Tessin, les Editions Stock, l’écrivain Daniel Pennac et une foule d’auteurs de la rentrée romande et française.
La littérature tessinoise est-elle un mythe?
Le Tessin est l’hôte d’honneur du Livre sur les quais, à Morges. Historien, poète et journaliste, Pierre Lepori dresse le portrait de cette littérature méconnue en Suisse romande.
Elle se bat pour exister, mais la littérature tessinoise existe-t-elle?
Bien sûr, mais les Suisses romands n’en ont aucune idée! Demandez-leur de citer deux écrivains tessinois… Alors qu’ils sont nombreux à être traduits en français. Par exemple, le génial Plinio Martini est dans la collection Babel, chez Actes Sud. Pour une population de 360 000 habitants (entre Tessin et Grisons italophones), la vie culturelle est très riche en Suisse italienne. Il n’y a pas que le festival de Locarno ou le clown Dimitri! D’où l’importance de cette invitation à Morges.
Depuis quand parle-t-on de «littérature tessinoise»?
Le premier auteur, Francesco Ciceri, a travaillé au XVIe siècle. Mais, jusqu’au XIXe siècle, les écrivains se considéraient Italiens, tout simplement. Pour l’émergence d’une «identité culturelle», il faut attendre les années 30. Avec l’ouverture du Gothard, en 1882, beaucoup d’Allemands et de Suisses alémaniques s’installent au Tessin (créant deux journaux et des écoles germanophones). Pendant ce temps, l’Italie est en plein fascisme. Entre les deux, le Tessin avait besoin d’«inventer» son identité. En 1932, les autorités ont commandité la première anthologie des écrivains tessinois. Et la radio a été créée.
Ces textes s’apparentaient-ils à de la propagande?
Plutôt des œuvres bucoliques, qui mettaient en avant le «génie local». Mais, après la Seconde Guerre, on assiste à l’émergence d’une littérature plus cosmopolite, avec quelqu’un comme Giovanni Orelli, qui sera présent à Morges (traduit chez Gallimard). Ou comme Anna Felder, découverte par Italo Calvino. Dans les années 90, la figure qui a émergé est celle de Fabio Pusterla, influent en Italie. Parmi les jeunes générations, on compte des voix passionnantes: Fabiano Alborghetti parle des requérants d’asile dans une poésie engagée. Andrea Fazioli a amené le polar au Tessin, et les livres pour enfants de Gionata Bernardi sont traduits en russe et en chinois.
Beaucoup d’entre eux n’habitent plus le territoire. Le concept a-t-il encore un sens?
Sans verser dans l’essentialisme, on peut dire que oui, il y a une histoire en commun, des expériences du territoire. Mais les identités sont devenues liquides, les nouvelles générations sont plus mobiles. Et, de toute façon, la littérature se place dans la marge.
Un thème commun entre ces auteurs est celui du secret. Est-ce que c’est lié au catholicisme?
La douleur intime est souvent abordée par les auteurs. Je pense à Anna Ruchat, qui parle de la perte de son père. Mais nous ne sommes pas dans l’autofiction, plutôt dans une approche pudique. C’est vrai que le Tessin est encore en partie conservateur. Un exemple, je suis le seul intellectuel à avoir affiché mon homosexualité.
Le Tessin aime-t-il ses écrivains?
Les subventions sont plus importantes qu’ailleurs mais, plutôt que de valoriser ses artistes, le Tessin se lance parfois dans des projets culturels disproportionnés. Le nouveau pôle culturel de Lugano, avec une salle de spectacle de 1000 places, risque de devenir une coquille vide…
Pourquoi autant de poètes dans cette région?
A cause d’un sentiment d’infériorité. On choisit le genre le plus raffiné, en mettant la barre haut pour se mesurer à la production italienne.
Propos recueillis par Julien Burri
«Le livre sur les quais». Morges, du 5 au 7 septembre.
Seront présents les auteurs Fabiano Alborghetti, Gionata Bernasconi, Yari Bernasconi, Andrea Fazioli, Anna Felder, Leopoldo Lonati, Stefano Marelli, Claudia Quadri, Sergio Roic, Anna Ruchat, Paolo Di Stefano, Flavio Stroppini, Giovanni Orelli.
Le programme des rencontres, signatures, lectures et animations est à retrouver sur le site www.lelivresurlesquais.ch
Focus sur Stock, éditeur invité
Le Livre sur les quais met cette année en valeur les Editions Stock, la plus ancienne maison française, fondée en 1708. La ligne éditoriale a été chahutée par les directeurs successifs, mais l’identité s’est précisée avec Jean-Marc Roberts. Au décès de ce dernier, en 2013, le groupe Hachette a nommé Manuel Carcassone, transfuge de chez Grasset, au poste de directeur général. La maison est reconnue pour sa collection d’essais, ses traductions (La Cosmopolite) et ses choix en littérature contemporaine. Alain Finkielkraut ou Marcela Iacub, chroniqueuse à L’Hebdo, comptent parmi ses auteurs phares. «Dans les essais, j’aimerais continuer à faire le pari de textes clivants, engagés et politiquement incorrects!» commente Manuel Carcassone. Quant aux jeunes plumes, cet automne on trouve cinq premiers romans dans la rentrée Stock (dont deux en traduction), alors que la tendance générale est à la frilosité. L’éditeur se réjouit d’avoir en ce moment un jeune Vaudois au sommet de sa pile de manuscrits, mais ne s’est pas encore décidé. «C’est une prise de risque à chaque fois, un pari sur l’avenir. Certains vont éclore, d’autres non. Il faut les accompagner sur la durée. La seule solution, puisque nous ne cherchons pas les best-sellers formatés, c’est de faire du sur-mesure.» Parmi l’écurie Stock, Britta Böhler, Adrien Bosc, Alain Finkielkraut, Christian Garcin, Simonetta Greggio, Axel Kahn, Michela Marzano ou Jo Baker feront le voyage à Morges. JB
Les dix auteurs à rencontrer à Morges, le choix de «l’hebdo» par Isabelle Falconnier
Laurence Deonna
En plus d’être la plus sympathique et chaleureuse des interlocutrices, jamais radine en sourires, attention et conversation, la reporter et écrivaine genevoise, grande baroudeuse devant l’Eternel, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient et militante de la paix convaincue, livre des Mémoires ébouriffées (L’Aire), à dévorer car hautes en couleur.
Sa, di
Catherine Locandro
La belle Niçoise signe l’une des histoires d’amour les plus touchantes de la rentrée: L’histoire d’un amour (HEO) raconte la liaison entre une star française, chanteuse mélancolique aux cheveux d’or, et un gamin de Rome pauvre et mal dégrossi. A la fin, il reste une chanson qui commence par «Il venait d’avoir 18 ans/Il était beau comme un enfant…»
Ve, sa, di
Donald Ray
Pollock Heureux qui comme cer-tains d’entre vous ne connaissent pas Donald Ray Pollock! Sa venue est l’occasion de rencontrer un phénomène, ouvrier de l’Ohio devenu écrivain à succès à 50 ans avec Le diable, tout le temps (Albin Michel). C’est Buchet Chastel qui l’avait traduit en premier et, bonne nouvelle, les his-toires de Knockemstiff sont parues en Libretto.
Ve, sa, di
Martin Sixsmith
Martin Six-smith, c’est ce journaliste, ancien conseiller politique anglais, qui a publié en 2009 The Lost Child of Philomena Lee, documen-taire poignant sur une fille-mère irlandaise forcée à abandonner son enfant, qui inspira à Stephen Frears son film Philomena. C’est depuis janvier un livre en français, Philomena, publié par les Presses de la Cité.
Sa, di
Philipp Meyer
Le New Yorker, qui en 2010 mettait Philipp Meyer, auteur alors d’un seul roman, sur sa liste des meilleurs auteurs de moins de 40 ans, a eu fin nez: Le fils, saga familiale sur fond de Comanches, de bétail et de pétrole, est une réussite absolue qui raconte le Texas et le Sud comme seul Faulkner auparavant. En plus, Meyer a travaillé à l’UBS avant de percer. Mais n’a pas aimé…
Sa, di
Caroline Vermalle
Brillante, pétillante, avenante, Caroline Vermalle est l’auteure parfaite: elle écrit des scénarios efficaces en français comme en anglais, des livres pour la jeunesse intelligents (Sixtine) et des romans irrésistibles, comme L’île des beaux lendemains ou, son dernier, Une collection de trésors minuscules (Belfond), fable sur l’amour, la fortune et la collectionnite aiguë.
Ve, sa, di
Bernard Comment
S’il est à Morges au titre de directeur de la collection Fiction & Cie, du Seuil, qui fête ses 40 ans, rien ne nous empêche de nous souvenir qu’il est aussi né à Porrentruy en 1960, éditeur des Poèmes, écrits intimes, lettres de Marilyn, traducteur de Tabucchi, écrivain enfin, auteur notamment d’un épatant recueil de nouvelles intitulé Tout passe, Goncourt de la nouvelle en 2011.
Ve, sa
Katherine Pancol
La reine du bal, cette année, c’est elle. Avec Douglas Kennedy, Luc Ferry, Daniel Pennac, par ailleurs président d’honneur de la manifestation, et David Foenkinos, la romancière populaire française, dont les trois tomes de Muchachas caracolent en tête des ventes depuis le début de l’été, sera la star du Livre sur les quais. Patience dans la file de dédicace!
Ve, sa, di
Emmanuel Carrère
Très attendu, son nouveau roman, Le royaume, confirme qu’il est clairement l’un des écrivains français les plus intéressants du moment, tout à la fois puissant, subtil, éminemment lisible et charismatique. Jadis, Carrère avait la foi. Il ne l’a plus mais reste fasciné par l’histoire d’une religion et, partant, d’une culture, qu’il raconte ici en se mettant en scène avec finesse.
Sa, di
Yann Queffélec Amoureux
de la Bretagne peut-être encore plus que des femmes, le plus prolifique des auteurs français le prouve cette année avec la sortie coup sur coup de Désirable (Cherche Midi) en juin et de L’ennemie dans la peau en septembre (L’Archipel). D’un côté une jeune fille renversée par une voiture, de l’autre un comédien qui disparaît. What else?
Ve, sa, di