Festival du film de Locarno. Trois ans après «Vol spécial», le documentariste lausannois est de retour au Tessin avec «L’abri», qui boucle une sorte de trilogie de la migration.
Aux abords d’une Piazza Grande sous la menace d’un ciel gris quasi automnal, Fernand Melgar affiche un air détendu. Pourtant, il ne l’est pas. Dans moins de deux heures, son dernier documentaire, L’abri, est projeté en première mondiale dans le cadre de la compétition officielle du 67e Festival du film de Locarno. Déjà rassurant: «Les premiers retours de la projection de presse sont extrêmement positifs», nous dira le distributeur du film, confiant.
Dévoiler un nouveau long métrage, «c’est comme un accouchement, c’est un bébé qu’on a porté et qu’on va montrer au monde, dit le Lausannois, père de quatre enfants. En plus, Locarno est le festival le plus cinéphile que je connaisse. Il pose des questions de cinéma.» Fernand Melgar y est attaché, et on le comprend. La manifestation a contribué à le révéler au grand public en 2008, lorsqu’il a reçu, pour La forteresse, le Léopard d’or de la section Cinéastes du présent. Trois ans plus tard, il accédait à la compétition officielle avec Vol spécial. Accueil autant public que critique excellent. Mais, in fine, polémique lorsque le président du jury, le producteur Paulo Branco, le taxera de «film fasciste». D’autres lui emboîteront le pas et dénonceront un cinéma manipulateur, orienté. Alors que le documentariste, en digne héritier du cinéma direct qu’il est, ne fait que montrer une réalité cachée, ou plutôt qu’on feint de ne pas voir. Il filme l’invisible, pour reprendre une formule clé des théories cinématographiques.
«Sincèrement, je dis merci à Branco. Parce que je n’aimerais pas que les spectateurs sortent de la salle en applaudissant mais oublient mes films cinq minutes après. C’est important d’avoir un cinéma qui nous divertisse mais, de mon côté, je souhaite susciter des réactions. J’aime dire que je fais un cinéma de l’intranquillité, que je suis une espèce de mauvaise conscience de la Suisse. Tout en faisant du cinéma, donc du spectacle, j’espère que très modestement je donne matière à réfléchir, que je pose des questions sur notre rapport aux autres. Mais sans donner ensuite les réponses.»
C’est là, d’ailleurs, ce qui fait l’intérêt de ses films, qui sont ce que l’on appelle, en opposition aux reportages, des documentaires de création: le spectateur est libre de ses interprétations. Reste que, dans le cinéma dit du réel comme dans la fiction, l’objectivité n’existe pas. Derrière chaque film, il y a un regard. Et disons que celui du Lausannois est pour le moins critique. On sent constamment que derrière Melgar le cinéaste se cache Fernand l’humaniste.
C’est la lutte quotidienne
Tourné à Lausanne durant six mois, entre octobre 2012 et mars 2013, L’abri documente, à travers d’incessants allers-retours entre l’intérieur et l’extérieur, la vie d’un hébergement hivernal d’urgence pour sans-abri. Tout en se focalisant sur le «tri» que doivent chaque soir effectuer des veilleurs confrontés à la triste réalité du nombre de lits disponibles, souvent inférieur à la demande, Fernand Melgar dévoile une nouvelle forme d’immigration à travers un couple d’Espagnols en règle, tentant sa chance en Suisse. A travers Amadou le Mauritanien, qui espère bien trouver du travail grâce à la bienveillance d’un patron souhaitant régulariser sa situation, le film est même traversé d’une note d’espoir.
L’abri, tourné au cœur de la ville, semble boucler une trilogie, se placer entre La forteresse et Vol spécial, réalisés dans un centre pour requérants puis un centre de détention administrative, et parlant dès lors de l’arrivée des migrants et de leur renvoi. Ici, on est dans l’instant, dans la lutte quotidienne pour survivre. Cinéaste citoyen, cinéaste militant, cinéaste humaniste: peu importent les étiquettes. Fernand Melgar est avant tout un cinéaste essentiel.
«L’abri». De Fernand Melgar. Suisse, 1 h 41.
En salle le 10 septembre.