Des jeunes filles élevées dans la forêt par des loups-garous sont prises en charge par des religieuses. Des enfants désœuvrés s’amusent à faire prendre un bain de mer à un albinos malade mental phobique de l’eau. Dans un palais des neiges artificielles, les hommes semblent retomber en enfance dans les bras d’une Lady Yeti. Enfin, dans un EMS flottant, un unijambiste décati tombe amoureux d’une jeune délinquante fascinée par son moignon… C’est un échantillon des neuf textes fantasques que Karen Russel, 33 ans aujourd’hui, figure de la nouvelle génération d’écrivains américains, a publié alors qu’elle en avait 25.
On pourrait craindre une brocante kitsch. Mais ces textes sont, pour la plupart, habités, et rarement bavards. Le farfelu n’y est pas gratuit, mais marque durablement. Chez Karen Russell, il y a ce folklore américain du parc d’attractions plus ou moins à l’abandon, cet amour pour le fantastique de pacotille et la ruine. On est à la fois dans le prosaïque, le prolétaire et le merveilleux. Il y est souvent question de mer aussi, de plages où les tortues viennent pondre, de fantômes et de jeux qui tournent mal. De l’angoisse, enfin. Car ses personnages ressentent tous une «atroce solitude» et peinent à s’insérer dans leur communauté. Derrière la déco chatoyante, qui parfois étouffe l’émotion du lecteur, il y a l’interrogation devant l’invisible: «Au large, la mer bascule dans la nuit. Il y a quelque chose dans l’air, comme si le monde entier retenait son souffle.»