Cinéma. Scarlett Johansson est à l’affiche du film de science-fiction «Under the Skin», de Jonathan Glazer. Une œuvre esthétisante et prétentieuse que la critique s’ingénie à rapprocher de Stanley Kubrick.
Une femme arpente les rues glauques de Glasgow. Veuve noire, vamp, ou mante religieuse, elle vient de l’espace. Sa mission: séduire les hommes et les emmener dans un taudis qu’elle présente comme sa maison. Les victimes ôtent leurs vêtements, suivent la belle aguicheuse, mais sombrent dans une matière noire, épaisse comme de la mélasse, qui les avale, les dévore. Conservés un moment dans ce formol, ce perfide liquide amniotique, ils subissent une transformation radicale. Leur chair est aspirée, siphonnée, ne reste que leur peau qui flotte, et dont la beauté morbide rappelle une méduse.
On pense aux écorchés des planches d’anatomie de la Renaissance, qui ont retiré leur peau comme un pardessus. Ou à Marsyas, ce satyre supplicié après avoir osé défier Apollon en se prétendant meilleur musicien que lui. Et qui finit «pelé» comme une vulgaire pomme. Revenons au film. L’Eve future, la tentatrice, est accompagnée de mystérieux motards, des macs auxquels elle semble obéir. Jusqu’au jour où elle embarque un pauvre hère évoquant l’Elephant Man de Lynch. La Mort insensible et aveugle s’humanisera-t-elle?
La Forêt-noire ne passe pas
Ce film jouit depuis son passage dans les festivals (Toronto, Venise) d’une aura magnétique. On y a vu «un grand drame extraterrestre» qui inventait «un langage visuel». On a salué un cinéaste «trop rare» (un seul film, Birth, en 2004, et des vidéos commerciales ou musicales). On l’a rapproché de Kubrick.
Glazer jouerait Marsyas. Kubrick serait Apollon. La beauté esthétique, visuelle, du second n’a jamais pris le pas sur le récit. Chez lui, le spectateur reste fasciné et veut connaître la suite. Chez Glazer, le récit est flottant, lâche. Under the Skin aurait été un très beau court ou moyen métrage. Il ne tient pas la longueur. Les images, pour certaines fascinantes, s’imprègnent dans la mémoire. Mais Scarlett, à force de jouer les «robots» insensibles, lasse. Son air quelconque, dans ce film où elle est un peu miteuse, un peu cabossée, ne suffit pas à passer le temps. Elle ne possède pas un visage à la Garbo, ou à la Huppert, deux maîtresses des surfaces. Des visages-écrans qui vivent des pensées du spectateur, se transforment constamment. Parlent sans paroles.
On n’a pas besoin d’explications (qui est l’extraterrestre, pourquoi agit-elle). On a envie de ressentir. Mais ce film n’a pas grand-chose dans le ventre. Le public du NIFFF, le Festival du film fantastique de Neuchâtel, ne s’y est pas trompé. Le film de Glazer y était présenté au début du mois. Après des plans de nuit gluante, après des ciels floconneux, un flash rouge (tous très réussis, il faut l’admettre), Scarlett Johansson essayait péniblement de manger une tranche de forêt-noire. L’extraterrestre tentait de s’incarner, de goûter à la vie terrestre. Chocolat, crème, fruit rouge: le gâteau reprenait le code visuel du film jusqu’à l’écœurement. Lorsque enfin l’actrice réussit à ingurgiter une microbouchée, après un insoutenable suspense (et avant qu’elle la recrache), la salle applaudit. Les rires ravageurs faisaient la peau à un film talentueux mais diaphane.
«Under the Skin». De Jonathan Glazer. Avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams, Lynsey Taylor Mackay. Angleterre, 1 h 48.