Zoom. Avec l’affiche de l’édition 2014 (22-27 juillet), une collaboration exemplaire s’achève entre l’école d’art de Genève et le festival en plein air. Lequel se fait fort de soutenir les talents de demain, y compris dans la création visuelle.
C’est l’une des caractéristiques du Paléo: être à l’écoute de la jeune création, des talents en devenir, des maestros-Stromae de demain. Il était donc cohérent que le festival s’alliât, à l’horizon 2006 et jusqu’à l’édition 2014, avec une haute école d’art et de design dont la responsabilité est aussi de préparer les nouvelles gardes de créateurs. Surtout que la HEAD de Genève aime plonger ses étudiants dans le grand bain du réel, via des projets conçus pour des commanditaires extérieurs. C’est une saine, mais exigeante, stimulation qui sort les futurs artistes, graphistes ou designers de leur sanctuaire, les confronte aux exigences du marché, les oblige à se dépasser, bref, les encourage à être des professionnels avant l’heure.
Concevoir une affiche pour le Paléo Festival n’est pas rien. Surtout que l’affiche en question n’est presque plus rien. Qui communique encore avec les seuls placards collés aux murs des villes? Quasiment plus le Paléo, dont les billets s’arrachent en quelques heures, dans un rituel de l’offre restreinte (250 000 billets tout de même) et de la demande énorme qui se répète d’année en année. Le rendez-vous nyonnais communique d’abord avec son site internet, les réseaux sociaux, le bouche à oreille, sa réputation internationale.
Reste que la collaboration entre la HEAD et le Paléo s’articule d’abord sur cette fameuse affiche, qui est aux festivals de musique ce qu’est le logo d’une grande entreprise: un moyen d’identification traditionnel et immédiat. En 2006, il y a une éternité dans notre ère numérique, l’affiche était encore le principal vecteur de la publicité du Paléo. Le site internet de la manifestation était rudimentaire. Il ne l’est plus. L’identité visuelle conçue par la HEAD lui donne sa personnalité, son humeur du moment. L’affiche est désormais invitée à sortir de son propre cadre.
un exercice libre
Il n’empêche: quoi de mieux, pour un étudiant en communication visuelle, que d’investir ce grand rectangle vertical avec son imagination, sa dextérité, ses ressources expressives? La commande est aussi claire que l’exercice est libre. Avec toutefois le conseil, typique de la HEAD, de ne pas se contenter de l’évidence. Comme celle du dessin d’un instrument de musique ou la facilité algorithmique d’un tracé vectoriel. Bref, surprendre, amuser, oser, chercher le décalage.
Mieux vaut privilégier des écritures graphiques qui évoquent, au large, et au diapason de l’instinct, la vibration propre à l’événement de juillet. Son identité festive. Le mélange des générations. Les sons du monde entier. Ses animations odorantes, durables, ludiques, artistiques. Les déplacements des spectateurs, dont le tracé des flux évoque une usine à gaz (autre fameux lieu culturel à Nyon). Ses fumées pas toutes cashères, de celles qui encouragent la vision de drôles de bestioles dans les nuages qui passent là-bas, au-dessus de la grande scène.
Vibration? Elle est bien rendue, pour prendre l’exemple le plus récent, dans l’affiche de l’édition 2014. Elle fait voir l’invisible: le son. Les lettres se tordent sous les coups d’une boîte à rythme, comme un oscilloscope bousculé par une horde d’infrabasses. L’étudiant-lauréat du concours 2014 a eu l’idée de poser un scanner sur une enceinte qui amplifiait sa propre partition musicale, donnant vie à sa typographie.
Il en va ainsi des autres affiches, gagnantes ou non, des éditions des neuf dernières années, la durée de la collaboration entre le célèbre festival et la non moins fameuse école d’art. La plupart d’entre elles rejouent le processus de leur fabrication. Un cours de première, deuxième ou troisième année en communication visuelle se déroule dans le cadre d’une formation. Ici, la formation visuelle est prise au pied de la lettre. Les affiches montrent souvent la genèse d’une telle aventure graphique, avec ses outils basiques: un crayon, une gomme, des couleurs, une règle peut-être. L’ordinateur, c’est après, ou pas du tout.
La réalisation de l’œuvre, c’en est une, retient à l’occasion ses propres croquis, ses trames, ses grains, ses couleurs primaires ou complémentaires, son noir et blanc de graphite et de papier, ses essais, ses erreurs, ses réussites, ses rêveries, sa quête de la bonne transcription de l’idée initiale. Ce n’est pas la démonstration d’un procédé, mais la monstration d’un processus. C’est la mise en abyme d’une formation: celle reçue à Genève dans un cadre académique et celle de l’affiche elle-même, sur la table de travail.
D’où les propositions étonnantes et non conformistes retenues par les jurys des concours organisés depuis 2006. Elles réussissent l’exploit d’être fidèles à leur provenance aussi bien qu’à leur destinataire. Dans le monde de plus en plus formaté des grands festivals en plein air, cette originalité pleine de sens mérite d’être relevée. Good vibrations!
Mais l’affiche, alors? Périmé, le bon vieux véhicule de propagande au format mondial? Pour ainsi dire. L’important est que la création plébiscitée chaque année dans le cadre du partenariat HEAD-Paléo soit déclinée sur une quantité de supports, à commencer par le site web de la manifestation. Et les produits dérivés, des tee-shirts aux sacs. La décoration du festival, les écrans géants, les autocollants. Les 250 000 billets!
Une expérience précieuse
En d’autres termes, l’étudiant-lauréat doit fournir une boîte à outils graphiques. Il est certes aidé par le stage qu’il effectue au sein de l’atelier genevois de La Fonderie, une immersion professionnelle qui lui permet de procéder par étapes, selon un strict cahier des charges. C’est une expérience aussi nécessaire que précieuse, laquelle sera un atout de plus à la sortie de l’école d’art, diplôme en poche. C’est la compréhension de la réalité multiforme de la communication visuelle contemporaine, à l’évolution rapide.
Une communication qui est aussi celle de la HEAD, en situation de concurrence avec d’autres écoles d’art, désireuse d’accroître encore sa notoriété par un cercle vertueux. Un partenariat avec le Paléo ou avec d’autres institutions culturelles, des concours gagnés, des prix glanés, c’est l’assurance d’une crédibilité accrue au profit d’un renom régional, national ou international. C’est un moyen d’attirer davantage d’étudiants exigeants, de professeurs de qualité, de subventions indispensables au bon fonctionnement d’une école de cette taille et, précisément, de cette réputation.
D’un commun accord, au bout de dix ans ou presque, la collaboration entre l’école et le festival s’interrompt avec l’édition 2014 du Paléo. Elle se poursuivra peut-être à l'avenir, qui sait.