Zoom. Simone Kermes et Vivica Genaux, valeurs sûres de la scène baroque actuelle, réunissent leurs talents ès vocalises pour rejouer les rivalités d’une époque – crêpage de chignons sur scène et hurlements de fans dans la salle.
C’était en 1727, période haute en couleur musicale. Le genre de l’opera seria italien triomphe dans toute l’Europe, truffé de personnages héroïques (Néron, Orphée, Achille…) qu’incarnent les surnaturels et glorieux castrats dont la voix et l’art du chant plongent le public dans un état d’exaltation et de «ravissement» fasciné. Les cantatrices ne sont pas pour autant en reste. Sous des costumes grandioses et des perruques enrubannées, elles font elles aussi preuve de bravoure et d’aptitude aux acrobaties vocales délirantes. Pas question de suivre des indications de mise en scène ou de garder avec discipline sa place et son rôle sur le plateau: chaque protagoniste est attentif aux effets qu’il déclenche par son chant ainsi qu’aux effets provoqués par les arias de ses rivaux. Si nécessaire, on n’hésitera pas à improviser des roucoulades supplémentaires pour impressionner ou déstabiliser l’ennemi, quitte par ailleurs à le déranger ou le pincer vigoureusement. Tout cela sous l’œil passionné d’un public résolument partisan.
Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni, prime donne absolues, stars aux cachets astronomiques, partagent ce soir-là l’affiche d’Astianatte de Bononcini. Le problème est que leurs fans respectifs se partagent quant à eux la salle, huant et sifflant à qui mieux mieux, en alternance. Et c’est dans un vacarme assourdissant que les deux femmes, à bout de nerfs, incapables de se faire entendre, en viennent aux mains, au grand dam du célèbre castrat Senesino, relégué au rang d’observateur ahuri, et au grand plaisir d’un public survolté. On parie sur Cuzzoni ou Bordoni comme on parie sur les chevaux de course baptisés à leur nom!
Menaces pour un triomphe
A Saanen, Simone Kermes et Vivica Genaux vont chanter un choix d’arias et de prouesses vocales composées sur mesure, il y a près de trois cents ans, pour ces célèbres rivales. Des pages de Bononcini, Ariosti, Hasse, Porpora se succèdent, sans oublier le fameux Haendel qui conçut pour chacune de ces voix d’or des airs appropriés à son génie spécifique, tout en étant attentif à leur réserver une importance de rôle et de chant équivalente. Le fort caractère du compositeur lui fut par ailleurs utile pour imposer ses vues. On raconte que, excédé par les caprices de la Cuzzoni qui refusait d’interpréter une aria jugée trop simple, il l’empoigna, la décolla du sol et menaça de la lancer par la fenêtre. La Cuzzoni obtempéra. L’aria fit un triomphe.
Le récital des deux fausses rivales contemporaines permettra d’entendre en quoi ces figures légendaires furent à la fois grandioses et différentes. Et tant pis si le public écoute, savoure et applaudit, faisant ainsi une belle entorse à l’histoire!
Saanen, église. Ve 18, 19 h 30. Festival, du 17 juillet au 6 septembre.Rens. www.menuhinfestivalgstaad.ch