Tout est politique, même les expositions. Prenez, parmi la palanquée de propositions culturelles sur la Première Guerre mondiale, les deux fortes évocations de l’avant-désastre au Musée national suisse de Zurich et à la Bibliothèque nationale de Paris (site François-Mitterrand). La première part de la mort en 1900 de Nietzsche et de son concept de surhomme pour aboutir à l’entrée en guerre en 1914. Une issue incarnée par la traversée, par des visiteurs pas très rassurés, d’un long tunnel plongé dans le noir et assourdi par le bruit des mitrailleuses. La seconde exposition se concentre sur l’été 1914 («J’en ai rarement vécu de plus luxuriant, de plus beau, je dirais presque de plus estival», écrivait Stefan Zweig dans Le monde d’hier). Mais elle détaille aussi les années optimistes de la Belle Epoque, derniers moments de bonheur avant le déferlement de violence. Toutes deux sont pluridisciplinaires, parlant aussi bien de la société, des sciences, des techniques que des arts, de la grande muette, des situations nationales et internationales. Elles s’efforcent de replonger les visiteurs dans l’Europe d’il y a cent ans, si fascinée par le progrès, si persuadée de la paix durable.
Un regard neutre, l’autre engagé. Mais Le monde avant la Grande Guerre du Landesmuseum se garde de prendre position. L’exposition ose toutefois un parallèle avec notre époque, traversée elle aussi par un sentiment de confusion et d’enthousiasme pour tout ce qui est nouveau. L’été 1914, les derniers jours de l’ancien monde à la BN de Paris établit des responsabilités, juge, soupèse et montre le terrible enchaînement de décisions qui aboutira à la déclaration de guerre d’août 1914. Un regard est neutre, l’autre engagé. L’un, très lucide, provient d’un pays qui est resté en dehors de la guerre. L’autre d’une nation qui en est sortie exsangue. Il est permis de préférer le premier, à Zurich, grâce à la finesse de son analyse, le registre très étendu de ses thèmes, ses surprises et sa mise en scène magnifique. Mais les deux expositions sont complémentaires, et hautement recommandables.
luc.debraine@hebdo.ch / @LucDebraine
Zurich, Musée national suisse. Jusqu’au 13 juillet. www.nationalmuseum.ch Paris, Bibliothèque nationale de France. Jusqu’au 3 août. www.bnf.fr
